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André-Jean Tudesq
  Professeur émérite
  Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3
  Fondateur du Centre d’Etudes des Médias 
Article inédit
LES MEDIA EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE :
  L’ESPOIR ET L’ILLUSION.
  Depuis une dizaine d’années, l’Afrique subsaharienne a vu 
  apparaître une presse indépendante, (alors qu’à l’exception 
  de quatre ou cinq pays anglophones, n’existaient que les journaux contrôlés 
  par le gouvernement), et plus tard, des radios privées. Cette libéralisation, 
  corrélative des changements politiques, s’est inégalement 
  réalisée et a éveillé des espoirs d’amélioration 
  ; les médias au cours des décennies précédentes 
  étaient devenus surtout des porteurs d’illusions, manipulés 
  par les gouvernements qui s’en étaient assurés, presque 
  partout, le monopole La situation actuelle ouvre-t-elle une voie nouvelle ? 
  Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut définir 
  la place des médias dans l’Afrique d’aujourd’hui. Elle 
  résulte à la fois du poids de l’histoire qui a accentué 
  les différences au sein de l’Afrique et des contraintes du présent. 
  
  Si des journaux existent depuis deux siècles en Afrique, à l’exception 
  de quelques pays anglophones (Afrique du Sud, Nigéria, Ghana, Kenya, 
  Libéria, Sierra Léone) ils n’ont joué que très 
  récemment un rôle dans la vie politique en Afrique et ne sont encore 
  lus que par une minorité, restant un class média plus qu’un 
  mass média.
  I Transferts et ruptures
Les médias (presse, radio, télévision) représentent un transfert de technologie qui touche les mentalités et conditionne les autres transferts. Ils n’ont longtemps affecté qu’une petite minorité, c’est surtout depuis les Indépendances qu’ils se sont propagés ; bien que la presse ait une implantation plus ancienne, c’est la radio qui s’est le plus développé.
Le transfert de 
  technique représenté par l’introduction de l’imprimerie 
  dont la presse fut l’un des produits les plus répandus a été 
  longtemps marqué par son origine coloniale Les différences des 
  régimes coloniaux et la supériorité de la presse dans la 
  zone anglaise expliquent la prépondérance encore aujourd’hui 
  de la presse écrite de l’Afrique du Sud, du Kenya ou du Nigéria. 
  La presse continue à bénéficier des progrès techniques, 
  introduits désormais plus rapidement. Les nouvelles techniques de la 
  PAO (publication assistée par ordinateur) ont permis l’éclosion 
  de la nouvelle presse en réduisant les coûts de fabrication pour 
  des tirages plus modestes. En matière de radio et de télévision, 
  les transferts de technique se sont opérés de plus en plus rapidement 
  ; déjà les postes récepteurs transistor de radio en émancipant 
  la réception de l’électrification ont opéré 
  une révolution des médias dés la fin des années 
  60 et assuré la suprématie de la radio.
  Les médias participent aussi aux transferts de connaissances qu’ils 
  véhiculent et d’abord des langues dans lesquelles ils s’expriment. 
  Or la presse écrite et plus tard la radio à leurs débuts 
  ont davantage été des journaux ou des radios, des médias 
  français, anglais ou portugais en Afrique que des journaux africains 
  ou des radios africaines. Mais dans ce domaine aussi la radio aujourd’hui 
  a plus rapidement introduit les langues africaines que la presse écrite. 
  La presse et la radio à ses débuts se sont voulues éducatives 
  et ont introduit des connaissances nouvelles, mais aussi de nouveaux concepts 
  ; la presse a introduit une nouvelle conception de l’information, inspirée 
  des sociétés industrielles occidentales qui se restructurent sans 
  cesse en innovant et sont attentives à tout ce qui change alors que les 
  sociétés rurales africaines cherchaient davantage à se 
  reproduire de façon identique et donnaient à la communication 
  de proximité plus d’importance qu’à l’information 
  sur le monde extérieur. Produits des villes, les médias ont accentué 
  en Afrique comme ailleurs, le poids de la ville sur les sociétés 
  rurales.
  Les médias et plus particulièrement la presse dans la zone anglaise, 
  qui a laissé naître plus tôt une presse africaine, ont introduit 
  le concept de conscience politique exprimé par le leader nigérian 
  Azikiwe qui fut d’abord un journaliste dés les années 30 
  avant de devenir le premier président du Nigéria indépendant. 
  La presse écrite a aussi propagé le concept de démocratie, 
  d’abord en Afrique anglaise de l’Ouest, comme une revendication 
  contre l’autorité coloniale, pour les populations africaines des 
  droits analogues à ceux des populations d’Angleterre. La plupart 
  des leaders africains après la deuxième guerre mondiale exprimèrent 
  leurs revendications dans des journaux qui contribuèrent à les 
  désigner comme des interlocuteurs valables du gouvernement anglais. 
  Les médias provoquèrent aussi un transfert de pratiques, avec 
  la lecture et plus encore l’écriture qui, permettant de différer 
  la communication, rend moins indispensable la mémoire, valorisée 
  par la tradition orale.
L’ensemble 
  de ces transferts, qui mériteraient chacun d’être l’objet 
  d’une étude, a constitué et constitue encore une rupture, 
  surtout sensible pour les premières générations à 
  les connaître. Le monopartisme invoqué comme le meilleur moyen 
  de rassembler des populations dont le regroupement était parfois artificiel 
  ou incomplet, avait entraîné le monopole de l’Etat sur l’information. 
  Quelques pays, héritiers des traditions anglaises, continuèrent 
  une tradition de liberté de la presse qui alla en s’amenuisant 
  au Kenya, au Nigéria, en Afrique du Sud où les journaux de langue 
  anglaise luttaient contre le durcissement de l’apartheid (The Rand Daily 
  Mail dépassant les 100. 000 exemplaires en 1971), mais partout la radio 
  restait très contrôlée ; ses bâtiments étaient 
  un enjeu dans les révolutions et coups d’Etat, dans les conflits 
  au sein de l’ex-Congo belge comme dans la séparation du Sénégal 
  et du Mali ou au cours de la guerre du Biafra.
  La libéralisation de la presse, à partir de la fin des années 
  80, puis de la radio, provoqua une nouvelle rupture dont les gouvernements se 
  sont encore mal remis, ayant toujours la tentation de contrôler les médias. 
  Cette libéralisation arrivait au moment où les progrès 
  de l’alphabétisation et de nouveaux moyens techniques augmentaient 
  le public des médias et les rendaient plus influents.
  Mais la pénétration des médias est très inégale 
  selon les pays et au sein des pays. L’usage de la presse écrite 
  reste encore très minoritaire, surtout dans les campagnes, les journaux 
  en langue africaine malgré des tentatives parfois anciennes, n’est 
  développée que dans quelques pays (Kenya, Tanzanie…) L’offre 
  des médias, surtout de la presse écrite et de la télévision, 
  n’est importante que dans les grandes villes. La presse quotidienne n’a 
  de tirages importants aujourd’hui, dépassant 200 000 exemplaires 
  qu’en Afrique du Sud (avec Sowetan et City Press), au Kenya avec le Daily 
  Nation, au Nigéria avec le Daily Times (prés de 400. 000) mais 
  elle comprend de nombreux titres et une grande diversité de périodiques 
  dans les pays du Commonwealth ; dans la zone francophone, c’est le cas 
  surtout de Madagascar et du Sénégal où la presse connaît 
  un développement ancien, en Côte d’Ivoire, au Bénin, 
  au Cameroun et au Burkina Faso.
  Quant à la radio, c’est récemment que les populations rurales 
  ont commencé à se l’approprier, avec des radios locales 
  associatives ou privées, mais celles-ci, très nombreuses en Afrique 
  du Sud, au Mali, à Madagascar, n’existent pas encore dans tous 
  les pays. Il n’y avait que 5 radios indépendantes des gouvernements 
  dans les années 80, il y en a actuellement un millier.
Plusieurs Etats sont encore trop la proie de conflits internes (Angola, Congo, Sierra Léone) ou même externes (Ethiopie, Erythrée) pour que les médias nationaux y jouent un rôle autre qu’instruments des factions rivales. C’est même le cas de pays comme le Libéria ou la Sierra Léone, qui avaient vu dés le XIXe siècle une presse africaine influente. Les influences étrangères n’ont jamais été absentes dans l’évolution des médias. Parler des médias en Afrique aujourd’hui concerne la presse et les radios africaines publiques ou privées, nationales ou locales et les radios ou télévisions étrangères qui sont parfois aussi installées sur place. Les uns et les autres à la fois sont porteurs d’espérance et, par des effets pervers, peuvent être des semeurs d’illusions.
II Les médias porteurs d’espérance
1. Médias et démocratie
Depuis la remise en question du système politique fondé sur la relation étroite entre chef d’Etat, parti unique, armée et radio qui prévalait encore en Afrique, au début des années 90, le mouvement de démocratisation a affecté les médias qui en même temps le stimulaient. Les médias publics avaient souffert d’une crise de légitimité pour leur soutien univoque à des dirigeants contestés et d’une crise d’efficacité puisqu’ils n’avaient pu maintenir le prestige de ces mêmes dirigeants. L’apparition d’une nouvelle presse indépendante commença au Bénin avec la création de la Gazette du Golfe en 1987 et s’est étendue à la plupart des pays. C’était le signe d’une crise des régimes en place liée à différents facteurs :extérieurs comme l’effondrement des régimes communistes de l’Europe de l’Est, ce qui amena des pays se réclamant de l’exemple soviétique comme le Bénin, le Congo, Madagascar à connaître parmi les premiers la contestation et le remplacement des pouvoirs en place. Mais dans les pays où la télévision était déjà bien implantée comme en Côte d’Ivoire ou au Gabon, les images de la chute du mur de Berlin ou du renversement des Ceaucescu en Roumanie, confortèrent les aspirations au changement, les autorités en place ne réussirent à se maintenir qu’au prix de concessions, la tolérance d’une presse indépendante et la reconnaissance du multipartisme. L’intervention des institutions internationales, comme la Banque Mondiale, imposant des conditions d’assainissement entraîna les gouvernants à concéder une plus grande liberté d’information à la presse écrite (dont le public était limité) comme geste de bonne volonté annonçant des réformes.
Mais des facteurs internes provoquèrent plus encore la contestation des pouvoirs en place ; l’aggravation de la crise économique, à la fin des années 80, avec la pénurie accrue, rendaient moins supportable le favoritisme, le clientélisme et la corruption. La fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud apporta aussi un soutien à tous ceux qui aspiraient en Afrique à une évolution plus démocratique.
La presse écrite 
  exprima la première ces aspirations au changement qui trouvèrent 
  dans plusieurs pays la possibilité de s’exprimer dans des Conférences 
  Nationales. La liberté d’information (visant aussi la radio) fut 
  une des premières revendications. Enjeu politique important la presse 
  nouvelle, indépendante du pouvoir, reçut sa consécration 
  dans la réunion de Windhoek patronnée par l’UNESCO en mai 
  1991. Sa première vocation fut de dénoncer la langue de bois et 
  de lever les tabous qui interdisaient auparavant d’aborder certains sujets, 
  notamment toutes les situations déplorables et catastrophiques. Désormais 
  le pluralisme de la presse assure plus de transparence aux activités 
  publiques. La mort suspecte en 1999 d’un journaliste Norbert Zongo au 
  Burkina Faso ébranla le gouvernement de Compaoré. Après 
  une effervescence qui a vu la naissance et la disparition d’un grand nombre 
  de titres et des dérapages sur lesquels nous reviendrons, la situation 
  est en voie de se stabiliser dans les principaux pays, les journaux indépendants 
  comme Sud ou Wal Fadjri au Sénégal ou le Daily Nation (qui existe 
  depuis 1960) au Kenya, Sowetan ou le Star à Johannesburg, des journaux 
  de l’Opposition ou soupçonnés par le pouvoir politique d’être 
  opposants en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Burkina, au Gabon, au 
  Togo, au Mali, à Madagascar, au Niger, au Ghana ou en Tanzanie et dans 
  plusieurs autres pays peuvent critiquer le gouvernement non sans être 
  menacés de procès.
  La libéralisation de la radio ne vint que plus tard, mais elle fut mise 
  en place ensuite dans presque tous les pays sauf la Mauritanie, le Rwanda et 
  le Zimbabwé. Dans plusieurs, des radios indépendantes comme Sud 
  Radio au Sénégal ou Nation au Kenya, appartenant toute s les deux 
  à des groupes multimédias, ont ravi la priorité de l’audience 
  à la radio publique. D’autre part, le développement des 
  radios associatives et communautaires, surtout à destination du monde 
  rural, donne à la radio une mission éducative en vue d’une 
  démocratisation qui fait l’objet de plusieurs programmes soutenus 
  par des ONG, comme l’Institut Panos ou MISA ou des organismes internationaux 
  comme la FAO. L’indépendance des radios et des télévisions, 
  jamais entièrement réalisée, n’est pas menacée 
  seulement par les gouvernements. Du moins faut-il que leur statut et leur liberté 
  soient inscrits dans la législation et que les minorités puissent 
  y avoir accès. L’Observatoire de la Liberté de la Presse 
  et des Droits de l’Homme établi en Côte d’Ivoire est 
  un exemple à suivre.
Les radios publiques qui ont souvent conservé le monopole de diffusion sur l’ensemble du territoire, les radios privées ne pouvant émettre qu’en modulation de fréquence, restent un enjeu ; leur accès est maintenant possible au moment des élections à toutes les tendances de l’opinion, mais la plupart restent très gouvernementales en dehors des périodes électorales. Les instances de régulation qui se sont constituées dans beaucoup de pays ont là tout un champ d’activité. C’est plus encore le cas pour la télévision restée très étatique (sauf en Afrique du Sud avec M-Net et E-TV), sa privatisation a bénéficié presque uniquement à des télévisions étrangères.
Le rôle des médias dans la démocratisation passe par la démocratisation des médias et par leur réception par le plus grand nombre. Si c’est en partie exact pour la radio ce n’est pas encore le cas de la presse écrite ; même si l’alphabétisation progresse.
2 Médias et développement
Ni la liberté 
  d’expression, ni le changement de dirigeants (quand il s’est produit) 
  n’ont entraîné une amélioration sensible du niveau 
  de vie. Le discours sur le développement tenu par les médias publics 
  pendant plus de vingt ans s’est usé en n’étant pas 
  suivi d’effets perceptibles pour beaucoup de gens qui ne virent pas leur 
  situation progresser. Les dirigeants qui contrôlaient les médias 
  furent les principaux responsables de ce manque de crédibilité. 
  Mais les espoirs mis par les organisations internationales, notamment l’UNESCO, 
  dans la radio et la télévision comme technique d’information 
  à réception collective permettant de rattraper le retard des pays 
  dits sous-développés en matière d’instruction et 
  de modernisation ont entraîné des investissements dans la radio 
  et la télévision éducatives dont les résultats, 
  parfois localement importants, n’ont pas été, globalement 
  à la hauteur des espérances. Le secrétaire général 
  de la Décennie mondiale du Développement, Basile Kossou reconnaissait 
  en 1988 : « Si certains des objectifs que s’était fixée 
  la communauté internationale n’ont pas été atteints, 
  c’est entre autres raisons, parce qu’on avait sous-estimé, 
  dans bien des projets de développement, l’importance du facteur 
  humain, ce réseau complexe de valeurs et de motivations qui forme le 
  substrat même d’une culture ».
  La libéralisation des médias, même si elle est souvent incomplète, 
  permet aujourd’hui un débat public et un pluralisme d’opinions 
  ainsi que, dans le meilleur des cas, un début d’appropriation des 
  médias par ceux à qui ils s’adressent en diffusant une information 
  utile.
L’apport des médias au développement (il vaudrait mieux parler de maîtrise de l’environnement) se présente différemment selon les médias et selon qu’il s’agit des grandes villes ou des campagnes.
Le passage de l’information 
  pour le développement à la communication pour le développement 
  n’est pas seulement une formule de style, il traduit la nécessité 
  de faire participer les populations plutôt que de leur imposer des connaissances 
  par le haut.
  La presse écrite permet l’acquisition la plus solide de connaissances, 
  mais elle suppose un degré minimum d’instruction qui est loin d’être 
  atteint partout par la majorité de la population Cependant une presse 
  populaire abordant les problèmes de société de la vie quotidienne 
  est présente dans plusieurs pays comme Sowetan à Johannesburg 
  Daily Nation à Nairobi, Ivoir’Soir à Abidjan, Daily News 
  en Tanzanie. Les chroniques sur la santé, l’éducation, l’économie, 
  l’environnement sont plus nombreuses dans la presse de langue anglaise 
  comprenant aussi un plus grand nombre de pages et de publicité. Dans 
  les pays francophones, elles sont davantage présentes fans la presse 
  gouvernementale qui dispose de plus de moyens et qui a un accès plus 
  facile aux différentes sources d’information que la nouvelle presse, 
  souvent opposante et plus strictement politique.
  Mais les problèmes liés à la santé ou à l’économie, 
  qui sont l’objet d’émissions à la radio, apparaissent 
  aussi à travers des émissions de divertissement à la radio 
  et à la télévision. Cette dernière se présentait, 
  à ses débuts dans de nombreux pays comme une télévision 
  éducative ; soit pour justifier un investissement qui ne répondait 
  pas à un besoin prioritaire et qui profitait surtout à une minorité 
  d’habitants de la capitale, soit pour attirer les financements de la coopération 
  étrangère. Au fur et à mesure de son implantation, la télévision 
  a diminué la diffusion des émissions éducatives. Par contre 
  des émissions de divertissement sont un moyen de faire passer des messages 
  ; ainsi le théâtre africain a souvent une fonction moralisatrice 
  et éducative. La chanson, plus particulièrement à la radio, 
  prend aussi une dimension sociale (et parfois politique) par les conseils et 
  les slogans qu’elle diffuse. La télévision et plus encore 
  la radio sont utilisées dans de nombreux pays pour propager la limitation 
  des naissances, pour inciter les parents à envoyer leurs enfants à 
  l’école et pour lutter contre le sida.
C’est surtout les radios locales, qu’elles soient publiques ou associatives, qui répondent au besoin d’information des populations rurales en les associant à la réalisation d’émissions en langues africaines.
3 Médias et identité culturelle
Les médias 
  présentent des aspects opposés qui ne sont pas nécessairement 
  antagonistes ; ils offrent une ouverture sur le monde extérieur, par 
  l’information mais aussi par le divertissement (surtout à la télévision) 
  et par la musique. Ils peuvent aussi renforcer une identité culturelle 
  locale en maintenant et valorisant la tradition orale.
  L’ouverture sur le monde extérieur peut être de proximité 
  avec les radios nationales pouvant renforcer un sentiment d’appartenance. 
  Au Kenya, en août 2000, le président Moï vient d’obliger 
  les radios privées à diffuser dans l’une des deux langues 
  officielles, anglais ou swahili, visant les radios privées diffusant 
  en langue africaine (surtout une nouvelle qui diffusait en kikuyu), sous le 
  prétexte qu’elles nuisaient à l’unité nationale. 
  C’est avec les radios internationales que l’ouverture est la plus 
  large mais celle-ci porte aussi sur le reste de l’Afrique à laquelle 
  RFI et la BBC. consacrent de nombreuses émissions.
  C’est surtout la radio, les radios locales et associatives, qui développent 
  identité et solidarité africaines. Certes les Avis et Communiqués, 
  qui existent depuis longtemps sur les radios publiques, contribuent à 
  maintenir les solidarités familiales entre ceux qui sont allés 
  en ville et ceux qui sont restés à la campagne ; la presse écrite, 
  surtout de langue anglaise, assure aussi une communication interpersonnelle, 
  notamment en publiant un abondant courrier des lecteurs, par exemple dans les 
  quotidiens du Kenya.
  L’enjeu culturel le plus important que présente les médias 
  concerne les langues utilisées ; la radio permet l’utilisation 
  la plus large des langues africaines ; elle fut plus rapide dans les pays anglophones, 
  avec des langues couvrant un vaste espace comme le swahili à l’Est 
  et le haoussa à l’Ouest. Majiro un quotidien de Tanzanie en swahili, 
  tire à 80. 000 exemplaires, Taifa Leo à Nairobi à 35. 000. 
  Même si les langues africaines sont assez peu utilisées dans la 
  presse sud-africaine, à la différence des radios, Ilanga en zoulou 
  tire à plus de 120. 000 à Durban.
Qu’elles soient en langues africaines ou en langues internationales, des émissions de radios, surtout dans les radios publiques, diffusent des éléments d’un patrimoine culturel dans beaucoup de pays ; Patrimoine culturel, une émission en français, en mooré et en dioula, au Burkina Faso, Xeltu à la radio du Sénégal qui fait parler en wolof des universitaires sur leurs recherches, une autre émission qui diffuse des poèmes. Les contes, les récits des griots, le théâtre africain trouvent une place sur beaucoup de radios, plus que sur les télévisions où les émissions importées occupent la majorité des programmes de divertissement. Des productions africaines de fiction en rapport avec des problèmes de la vie quotidienne sont diffusées (et l’étaient même plus souvent il y a quelques années) par des télévisions africaines ; par exemple Osofo Dadzie en akan au Ghana, Dangerous members au Nigéria, Faut pas fâcher en Côte d’Ivoire.
Le sport occupe une place très importante dans les trois médias en Afrique ; il s’en dégage une identité sportive africaine à laquelle sont associées les victoires des sportifs noirs américains La chanson a pris une dimension socioculturelle et même politique. Les médias, par leurs effets perturbateurs, ont contribué à faire changer les situations non sans entraîner des effets pervers.
  III Les effets pervers des médias
Nous entendons par effets pervers, des effets des médias qui ne correspondent ni aux attentes affichées, ni aux objectifs annoncés par ceux qui les produisent ou les contrôlent. Ces effets, qui ne s’identifient pas nécessairement à des effets mauvais, ne sont pas spécifiques aux sociétés africaines mais celles-ci subissent et reçoivent la communication mondiale plus qu’elles n’y participent activement Ces effets se manifestent au niveau de la production des médias et plus encore de leur usage.
1 La dépendance de l’étranger
La mondialisation avec l’internationalisation 
  croissante de la communication, de ses instruments, mais aussi de ses contenus, 
  accentue la dépendance vis-à-vis de l’étranger. Dépendance 
  et développement sont plus complémentaires qu’opposés 
  ; les pays africains les plus avancés dans l’équipement 
  en médias sont aussi les plus dépendants ; il en est de même 
  des catégories sociales et des individus, des jeunes ou des cadres publics 
  cibles des télévisions. La dépendance technique, la plus 
  générale, est d’autant plus accentuée que les techniques 
  sont nouvelles ; le nouveau procédé de distribution des programmes 
  de télévision, le MMDS, en est une illustration, de même 
  le satellite qui est devenu le vecteur des différents médias qu’il 
  conditionne de plus en plus.
  La fin des monopoles de la radio et de la télévision a entraîné 
  la concession de fréquences dont les radios internationales ont été 
  souvent les premières bénéficiaires. RFI et la BBC ont 
  ainsi établi tout un réseau de radios en FM dans les grandes villes 
  d’Afrique qui ont décuplé leurs audiences, imitées 
  par VOA et la Deutsche Welle, surtout en utilisant (pas encore pour RFI) les 
  langues africaines dans leurs émissions. Au niveau de la télévision, 
  les chaînes cryptées à péage distribuées par 
  Multichoice, Canal France International CFI diffusé par la coopération 
  française, Canal Horizon associant Canal Plus et la SOFIRAD à 
  des capitaux africains à Dakar, Abidjan, Libreville et Lomé ou 
  les réseaux de MMDS, accentuent l’invasion d’images de télévisions 
  étrangères, diffusées aussi abondamment par les télévisions 
  nationales. Celles-ci, surtout dans la zone francophone ne diffusent d’images 
  illustrant l’information internationale que celles fournies par CFI ; 
  Reuters Vision et BBC Worldwide en procurent aux pays anglophones.
  Mais c’est surtout dans le domaine de la programmation, dans les émissions 
  de fiction et de sport, que les télévisions africaines diffusent 
  principalement des séries et des films étrangers, occidentaux 
  mais aussi indiens et égyptiens dans la zone anglophone, brésiliens 
  dans les pays lusophones.
  Les contenus de la presse écrite sont conditionnés par sa dépendance 
  et celle des agences nationales de presse à l’égard des 
  agences internationales, surout Reuters et l’AFP qui ont plusieurs bureaux 
  en Afrique. Mais on trouve aussi dans la presse africaine, tantôt directement 
  reproduits, tantôt intégrés dans des articles de journalistes 
  africain, des articles ou fiches documentaires diffusés par des organismes 
  internationaux ou nationaux comme l’USAID des USA ou MFI Media France 
  Intercontinent de RFI
  Les journalistes africains qui sont des auditeurs attentifs des radios internationales 
  et des lecteurs de la presse occidentale s’inspirent de la présentation 
  occidentale des nouvelles, ce qui les amène à aborder aujourd’hui 
  des sujets comme la corruption ou les agressions sexuelles, qui étaient 
  auparavant des tabous.
  Cette imitation des médias occidentaux est surtout le fait de la presse 
  à plus gros tirage ou des télévisions les mieux implantées. 
  Elle atteint moins la presse en langue africaine (encore peu répandue) 
  ou la radio ; même si les radios internationales ont une implantation 
  plus forte en Afrique, la pluralité des radios, l’assimilation 
  mieux réalisée par les sociétés africaines font 
  de la radio un moyen d’acculturation plus que de dépendance passive 
  comme la télévision.
  2 Le choc culturel
Les médias marquent une rupture avec les cultures traditionnelles de l’Afrique même si celles-ci trouvent parfois en eux un moyen d’expression. Les sociétés africaines commencent seulement et encore rarement, à faire montre d’une capacité de résistance aux influences extérieures ou d’une faculté d’adaptation.
L’acculturation dans le domaine de l’information apparaît déjà dans la plus grande crédibilité donnée aux moyens d’information étrangers qu’aux moyens locaux dans plusieurs pays, précisément ceux où les médias sont les plus développés. C’est ce que montre par exemple un sondage à Abidjan en juin 1995 sur les deux principales sources d’information sur la politique nationale.
Abidjan 1995 (HPCI Etude média 
  1995)
  
  Moyens Ivoiriens Moyens Étrangers NSP/SR
  Journaux Radios Télévision Journaux Radio Télévision	
  
  Ensemble 13, 6 18, 4 26, 1 6, 4 22, 6 10, 7 41, 4
  Hommes 16, 3 20, 2 24, 4 8, 8 32, 7 14, 3 30, 8
  Femmes 10, 5 16, 3 28, 2 3, 7 10, 9 6, 6 53, 7
  Cadres employés 25, 1 25, 4 18, 1 10 35, 2 21, 7 24
  Ouvriers artisans 14, 7 22, 5 27, 2 5, 9 24, 6 11, 2 36, 8
  Commerçants, art 11, 1 13, 5 18, 5 4, 4 18, 4 10, 7 54, 2
  Élèves étudiants 26, 9 16, 1 29, 1 12, 5 29, 4 22, 9 25, 
  1
  Femmes au foyer 4, 9 17, 2 34, 9 0, 7 7, 3 3, 6 55, 4
  Non scolarisés 5, 3 18, 9 25, 3 1, 8 13, 6 9, 1 56
  Enseignement Supérieur 26, 2 16, 3 28, 1 13, 7 40, 8 40, 5 8, 4
Pour les employés et cadres ainsi 
  que pour les plus instruits (qui se recrutent souvent dans la même catégorie) 
  radios et télévisions étrangères sont les principales 
  sources, l’emportant sur la radio et la télévision nationales 
  ; mais pour les ouvriers et commerçants, les radios étrangères 
  l’emportent aussi sur la radio nationale, dépassées toutefois 
  par la télévision nationale très largement implantée 
  à Abidjan. Les catégories les plus modestes (parmi lesquelles 
  femmes au foyer et non scolarisés) sont les moins atteintes par les médias 
  étrangers.
  L’acculturation des cadres et étudiants apparaît aussi dans 
  les réponses à une autre question du même sondage concernant 
  les principales sources d’information sur la culture africaine, or les 
  radios étrangères arrivent au premier rang pour les employés 
  et cadres, pour les étudiants, pour les plus instruits, pour la tranche 
  d’âge des 30-39 ans dans un domaine où l’on aurait 
  pu s’attendre à une primauté des sources africaines.
  C’est surtout la presse écrite qui dénonce cette dépendance, 
  parlant d’une « deuxième colonisation en Afrique » 
  (Le Jour d’Abidjan, 15 janvier 1997). Et c’est la télévision 
  qui est la plus mise en cause. La vidéo et Internet, quels que soient 
  les apports positifs qu’ils peuvent procurer, accentuent aujourd’hui 
  cette dépendance.
  3 L’aggravation des antagonismes.
L’aggravation des antagonismes a été suffisamment et dramatiquement illustré par l’exemple de la RTML la Radio des Mille collines dans le génocide au Rwanda pour qu’il soit nécessaire d’insister. Mais des journaux au Rwanda comme Kangura, au Burundi et, dans d’autres pays, moins systématiquement, ont diffusé la haine ethnique. L’accusation d’attiser la haine tribale et ethnique a été utilisée (à tort ou à raison, c’est un autre problème) contre des journaux opposants, au Kenya, au Togo, au Niger, dans les deux Congo.
Un autre aspect proche du précédent, des antagonismes avivés par les médias, concerne les campagnes contre les étrangers appuyant leur expulsion dans de nombreux pays où ils avaient pourtant été attirés pour effectuer de durs travaux ; au Gabon, à la fin de 1991, La Relance, hebdomadaire du parti au pouvoir, le 21 novembre, présente un « dossier de l’immigration », parlant des sans papiers « qui se rendent à tout point de vue responsables d’actes odieux :vols, viols, assassinats sur commande, agressions … », mais le journal opposant La Clé du 28/11-4/, 12 parle aussi des « immigrés clandestins sans emploi qui se transforment en bandits de grands chemin ». En Côte d’Ivoire, pendant la campagne électorale de 1995, c’est contre les Ghanéens que s’élèvent certains. Les exodes de réfugiés accentuent ces antagonismes en Côte d’Ivoire, au Cameroun et dans d’autres pays.
Les antagonismes politiques sont envenimés par les journaux avec une surenchère dans les dénonciations et la violence des polémiques dans les luttes électorales. Au Togo, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Gabon, la dramatisation apparaît comme un moyen d’attirer le lecteur sollicité par un trop grand nombre de nouveaux journaux, surtout hebdomadaires. « Notre seul salut demeure dans le crépitement des armes « écrit Le Courrier du Golfe du 29 août 1992 après l’assassinat d’un leader de l’Opposition au Togo.
Le séminaire organisé à Accra en février1996 par l’Institut Panos et l’Union des Journalistes du Ghana, a donné matière à une publication, « Ne tirez pas sur les médias :éthique et déontologie de l’information en Afrique de l’Ouest », donnant de multiples exemples de diffamation, insultes, fausses nouvelles, incitations à la violence qui figurent dans de nombreux journaux. Une critique systématique est aussi présente dans les journaux du Zaïre pendant les dernières années de Mobutu, ou au Kenya. Les gouvernements qui avaient laissé faire au début de l’éclosion de cette nouvelle presse, désemparés, réagissent à partir de 1992 avec des lois nouvelles reconnaissant la liberté de la presse mais en lui assignant des limites et multipliant les procès. Souvent, l’absence de professionnalisme de ceux qui rédigent les nouveaux journaux les amène à être condamnés pour fausses nouvelles même quand il s’agit de dénonciations de faits exacts mais sans preuve. Nombre de journaux créés au début des années 90 disparurent tandis que d’autres, notamment des quotidiens, apparurent. La sanction financière devint aussi néfaste que les mesures politiques de suspension.
Les élections en régime 
  de pluralisme des partis aggravèrent les antagonismes ; au consensus 
  auquel aboutissait la palabre entre tendances opposées, se substituait 
  un partage entre majorité et opposants, ne laissant aucun droit à 
  ces derniers ; les magistrats restant souvent liés aux forces gouvernementales, 
  l’indépendance de la magistrature est une première réforme 
  à réaliser pour rendre effective une démocratisation qui 
  a connu un premier pas avec le pluralisme des partis et des journaux. Les médias 
  et les journalistes sont devenus fréquemment l’objet de violences 
  ; souvent de la part de l’armée. Mais celle-ci n’a pas hésité, 
  dans plusieurs pays, à s’emparer du pouvoir sans que les journaux 
  aient joué un rôle dans le renversement des pouvoirs élus, 
  que ce soit dans les deux Congo ou au Niger.
  Les bâtiments des médias sont souvent menacés. Au Mali l’imprimerie 
  du groupe Jamana (dont le président Alpha Oumar Konaré fut le 
  fondateur) fut détruite par des étudiants révoltés. 
  A Lomé, celle de la Tribune des Démocrates fut endommagée 
  par une bombe le 26 mai 1997 Nombreux sont les journalistes victimes d’attentats 
  ou d’arrestations arbitraires. 
  4 L’aggravation des inégalités
Elle tient à la fois à 
  l’inégalité en équipement et en potentialité 
  de réception des médias et à l’inégalité 
  dans les pratiques. Elle est surtout géographique et socioculturelle.
  Les inégalités géographiques se situent à deux niveaux. 
  D’abord une inégalité accrue entre les Etats, certains sont 
  bien équipés en journaux, radios et télévisions, 
  comme l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal, 
  le Kenya, Madagascar, l’Ouganda. Cette inégalité ne correspond 
  pas toujours aux inégalités de ressources, ainsi le Zimbabwe pourtant 
  bien plus riche que le Mali ou le Burkina Faso connaît une offre de médias 
  bien plus réduite que ces deux pays qui ont surtout développé 
  les radios. La situation des médias est particulièrement précaire 
  dans les pays souffrant de la guerre civile comme l’Angola ou le Congo-Kinshasa 
  (qui était pourtant assez bien équipé, de même le 
  Libéria et la Sierra Léone) ou la Somalie,
L’inégalité entre 
  Etats amène l’influence des médias des pays les mieux équipés 
  sur les pays voisins. C’est le cas de l’Afrique du Sud à 
  l’égard du Zimbabwe, du Mozambique ou du Swaziland.
  Mais même dans les pays les mieux équipés, il y a une inégalité 
  profonde entre citadins et ruraux. En 1995, si les différences d’équipement 
  en radio au Kenya étaient assez faibles entre les villes (88% à 
  Nairobi) et les ruraux (72%), elles sont par contre très forte sur les 
  téléviseurs (47% à Nairobi, 29% dans les autres villes, 
  7% chez les ruraux).
Les inégalités dans les 
  pratiques des médias sont bien plus accentuées encore entre citadins 
  et ruraux. Au Kenya toujours, en 1995 le tableau suivant l’illustre.
  Source d’Information 1995 (IBAR-BBC)
 Radio Télévision Journaux 
  Visites
  Ensemble 68% 15 28 49
  Hommes 72 16 38 50
  Femmes 65 15 19 49
  Citadins 80 38 46 48
  Dont Nairobi 85 50 52 50
  Ruraux 65 9 23 50
  Dont Côte 60 18 21 52
  Rift Valley 68 9 27 40
Les enquêtes englobant les ruraux sont plus rares en Afrique francophones ; une enquête de 1992 en Côte d’Ivoire montre à la fois la différence en équipement et en pratique avec une moindre différence en ce qui concerne la radio.
Aux inégalités d’équipement, 
  s’ajoute l’inégale compréhension des langues internationales, 
  les plus présentes à la télévision et, à 
  l’exception de quelques pays, dans la presse écrite.
  C’est dans les pays où les médias sont le moins répandus 
  que les inégalités sont les plus sensibles entre une petite minorité 
  détentrice de tous les médias, parlant le français ou l’anglais, 
  et la masse de la population. Ainsi au Tchad, à N’Djamena en 1994, 
  parmi les cadres et employés, seulement 4,9 % n’étaient 
  pas francophones et 75, 8 % maîtrisaient bien le français, alors 
  que parmi les femmes au foyer il y avait 57, 3 % de non francophones et 26, 
  3% parmi les ouvriers, dans ces deux catégories plus des deux tiers de 
  ceux qui parlaient le français n’en avaient qu’une connaissance 
  sommaire. Les inégalités géographiques se doublent, au 
  moins partiellement, d’inégalités sociales. Les catégories 
  les plus riches, présentes surtout dans les capitales, disposent du plus 
  grand éventail des médias et bénéficient des informations 
  les plus utiles.
Conclusion
Les médias accompagnent désormais 
  l’évolution de l’Afrique. Ils en sont les témoins, 
  en sont-ils des acteurs ? Les médias exercent une influence sur la vie 
  politique et sur la vie quotidienne, mais il est difficile d’en saisir 
  le sens tant elle est diverse et contradictoire. Ils peuvent contribuer à 
  l’amélioration des comportements et au développement collectif 
  et durable, mais aussi au durcissement des antagonismes. Comme la langue d’Esope 
  ils peuvent exprimer le meilleur et le pire et cette incertitude est le prix 
  de la liberté. Porteurs d’espérance et semeurs d’illusions, 
  les médias sont l’un et l’autre, deux faces contradictoires 
  et néanmoins solidaires. Il serait illusoire de trop compter sur les 
  médias pour démocratiser la société ; mais la liberté 
  et le pluralisme des médias sont indispensables à l’Etat 
  de droit. Les dérapages (et la corruption) qu’on peut reprocher, 
  à juste titre, à des médias, se produisaient aussi avant 
  leur libéralisation. L’amélioration de la société 
  ne peut plus s’effectuer sans le pluralisme et la liberté même 
  incomplète des médias qui permettent seuls d’exprimer les 
  plaintes, les besoins, les aspirations des populations, leurs espérances 
  et leurs illusions, et ce qui apparaît illusion aujourd’hui peut 
  devenir réalité demain.
  Les médias sont plus les guides que les reflets, en Afrique, d’une 
  opinion publique qui a souvent du mal à se constituer de façon 
  autonome face aux forces religieuses ou ethniques ; leur observation n’en 
  est pas moins devenue le meilleur indicateur de l’évolution même 
  des sociétés africaines.
  Trois remarques pour conclure. Le XXe siècle a vu se développer 
  puis disparaître la colonisation ; colonisation et décolonisation 
  sont des moments importants dans la vie d’un individu ; au niveau d’une 
  société et d’un pays, ce sont des épisodes influents 
  certes, mais qui n’ont pas pour les générations futures 
  le même poids que pour celles qui les ont vécues. Les dépendances 
  ne sont pas immuables ; l’atténuation de la dépendance face 
  à l’étranger passe par l’atténuation de la 
  dépendance des masses au sein des Etats face à une petite minorité 
  dirigeante, or le pluralisme des moyens d’information en assurant plus 
  de transparence des situations et des activités limite la puissance des 
  dirigeants.
  Imprévisible Afrique, les explications savantes des théories occidentales 
  des médias s’adaptent mal aux réalités africaines 
  ou enferment ces réalités dans des cadres préétablis 
  ne s’appuyant que sur un domaine d’investigation restreint ; les 
  outils méthodologiques forgés pour l’analyse des médias 
  occidentaux semblent souvent inopérants, par exemple le concept d’espace 
  public pour des sociétés dans lesquelles la séparation 
  entre public et privé, entre ce qui est religieux et ce qui est laïc 
  est souvent inexistant.
Il serait paradoxal qu’à 
  l’heure de la mondialisation, la coopération étrangère 
  se réduise et que ne se développe pas aussi une coopération 
  entre les pays d’Afrique (encore faible même s’il y a quelques 
  symptômes d’une évolution) ; le poids des médias étrangers 
  en Afrique continuera à se faire sentir longtemps, les médias 
  de proximité peuvent le compenser, mais qu’il s’agisse des 
  radios locales ou de la presse en langues africaines, une aide extérieure 
  leur est encore nécessaire au moins pour démarrer. Mais alors 
  que la coopération qui s’effectuait entre Etats du Nord et du Sud, 
  contribuait (et contribue encore parfois) à maintenir en place des dirigeants 
  compromis dans l’arbitraire et la corruption, c’est actuellement 
  vers une coopération plus proche des médias directement, entre 
  organisations non gouvernementales, collectivités locales, villes ou 
  médias du Nord et du Sud, que doit s’opérer une aide transitoire 
  et partielle, fonctionnant surtout au niveau des radios, plus difficilement 
  de la presse écrite.
  Mais l’aide extérieure ne peut être qu’un complément, 
  l’avenir des médias africains est lié à un double 
  problème de formation, formation des professionnels des médias, 
  l’éthique professionnelle et les conditions de rétribution 
  ayant au moins autant d’importance que la formation technique, et formation 
  dés l’école des jeunes générations à 
  une réception critique et non passive des médias. Même si 
  la primauté de la radio devrait continuer encore longtemps, avec les 
  progrès réels de l’alphabétisation, le nombre de 
  lecteurs potentiels de la presse s’accroît. La télévision, 
  comme partout, pourvoit d’abord au divertissement, l’information 
  qu’elle diffuse reste et restera encore longtemps gouvernementale ou étrangère, 
  à quelques exceptions près. La radio et la presse, associées 
  et pluralistes, peuvent être des acteurs d’un développement 
  durable une potentialité qui peut devenir une réalité.