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Nicolas Becqueret
ATER à l'Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle, UFR Communication
Chercheur au GRPC, Groupe de Recherche en Psychologie de la Communication
Secrétaire général du Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Radio (GRER)


Cet article est paru dans les actes du colloque des journées d'études de l'Ecole Doctorale ASSIC, - Figures du témoin -, Paris : Université de la Sorbonne-Nouvelle, Paris, juin 2004, pp. 66-69.

 

Le témoignage des auditeurs à la radio

 

S'il est un média qui aujourd'hui fonde une large partie de son contenu sur la figure du témoin c'est bien la radio. Plus que la télévision, plus que la presse et d'une manière sans doute plus systématique qu'Internet, le média radio, qu'il s'adresse aux jeunes ou aux moins jeunes, qu'il cible le cadre urbain ou la ménagère de moins de 50 ans, qu'il propose des programmes d'actualité ou des programmes de divertissement, fait sans arrêt appel au témoignage. Cet appel est centré sur la communauté des auditeurs. En effet, c'est à la figure de l'auditeur moyen que les instances médiatiques s'adressent lorsqu'elles ont besoin d'une parole particulière et individuelle, d'un récit de vie, d'une narration singulière portant sur un sujet abordé dans une émission. Témoigner de c'est «   confirmer la vérité, la valeur de quelque chose, par des paroles, des déclarations ou par ses actes, son existence même  » . Le témoignage est toujours considéré comme authentique, comme ayant valeur d'exemple et de vérité. Pour P. Charaudeau le témoignage dans les médias «  instaure l'imaginaire de la vérité vraie  » . Ces témoignages personnels, qui doivent incarner le général, sont omniprésents sur les ondes.

On pourrait résumer la parole du témoin à la radio comme s'insérant dans des émissions présentant un cadre situationnel très proche et des thématiques très diverses, mais ce serait là une définition trop rapide et incomplète. Dans cet article nous proposons de décrire cette parole, en rappelant qu'elle ne se construit pas au hasard mais qu'elle s'insère dans des genres d'émissions au sein desquels on parle d'une certaine manière.

Avant toute chose, commençons par un court rappel de J. - P. Bronckart nous expliquant que les genres de discours sont des entités mouvantes qui « s'adaptent en permanence à l'évolution des enjeux sociocommunicatifs, et (…) sont dès lors porteurs de multiples indexations sociales. [qui] sont organisés en nébuleuses, aux frontières floues et mouvantes.  » . Nous adhérons à cette courte définition et nous proposons de considérer que ces frontières, bien que floues et mouvantes, marquent les limites de territoires langagiers qui sont reconnus par les acteurs sociaux. C'est pourquoi on se rallie à la notion de terrain d'entente de  P. Scannel qui suppose «  une compétence culturelle/linguistique com­mune, des connaissances et une compréhension partagées . » Nous avons en mémoire des connaissances et des compréhen­sions communes, historiquement cumula­tives des événements et des types discursifs. Ainsi on peut affirmer que ce qui fonde ce terrain d'entente dans le discours en général et plus particulièrement dans le discours médiatique est cette capacité cognitive de catégorisation en genres. Reconnaître un genre de discours c'est savoir repérer des régularités compositionnelles du discours ancrées dans un contexte particulier. Dans cet article nous proposons de mettre à jour ces régularités compositionnelles concernant la parole témoignante des auditeurs. Pour ce faire, nous avons observé de nombreuses séquences de témoignages d'auditeurs à la radio. Nous présentons ici simplement quelques définitions des types de témoignages aisément observables dans les grands genres d'émissions. Ces modèles idéaux ont été construits à partir de travaux antérieurs à notre recherche et portant principalement sur la télévision. Ils sont également le fruit d'une réflexion effectuée dans une recherche de doctorat en cours, c'est pourquoi nous précisons au lecteur que ces définitions sont davantage à considérer comme des hypothèses à discuter que comme des vérités stables et intangibles.

Le témoignage dans les émissions interactives s'organise autour de trois contrats de communication correspondant à des visées voulues par l'instance médiatique :

•  un contrat d'information,

•  un contrat d'explicitation,

•  un contrat d'assistance (ou médiation)

Ces contrats sont les mêmes que ceux définis par G. Lochard et J. - C. Soulages à propos de la télévision auxquels ils ajoutent un contrat pédagogique et un contrat commercial. Avec eux nous pensons que les messages radios sont «  appréhendés comme le résultat d'actes de langages produits par des sujets à dimensions collectives dans des situations contractualisées  ». Ces contrats ont des buts actionnels correspondant à trois grandes visées énonciatives :

- la visée informative : l'instance médiatique cherche à donner un savoir à l'auditeur concernant les faits d'actualité, on parlera d'apport cognitif ;

- la visée explicative et/ou explicitative : le média instaure un rapport cognitivo-relationnel avec l'auditeur intervenant, il le pousse à témoigner de sa situation, afin de mieux échanger avec lui ;

- la visée actionnelle : le média se positionne comme l'assistant de l'auditeur afin de l'aider à surmonter des problèmes qu'il ne peut (semble t-il) pas résoudre sans l'aide du média.

Présentons maintenant le témoignage tel qu'il apparaît dans chacun de ces grands contrats.

Le témoignage dans les émissions à visée informative  : l'émission s'organise autour de la figure du journaliste qui occupe une place centrale avec la présence ou non d'invité(s) avec lui dans le studio, toujours des spécialistes et des experts. On y aborde des thèmes imposés par l'instance de diffusion, qui se doivent d'être en rapport direct, presque d'immédiateté avec l'actualité chaude. Le média doit être dans un rapport de co-temporalité avec l'événement, un évènement dont les deux caractéristiques essentielles sont «  l'éphémérité  » et «  l'a-historicité  » explique P. Charaudeau . Dans ces émissions on parlera de réagir sur l'actualité . C'est pourquoi ces programmes, sont toujours diffusés lors des grands rendez-vous traditionnels avec l'actualité à la radio, le matin, après le journal d'informations de 12h, puis de 13h, et après celui de 18h le soir. Les thèmes qui sont abordés sont en rapport avec ceux traités dans le journal d'information. Ces réactions sur l'actualité sont rarement formulées sous formes de questions simples à destination du journaliste ou de l'expert. Bien plus souvent il s'agit de confirmation de l'existence de ce dont on parle dans l'émission, par la narration d'une expérience personnelle corroborant les dires.

Le témoignage dans les émissions à visées explicative et explicitative : dans ces programmes, qui se présentent sous forme de magazine, les auditeurs et les animateurs traitent le plus souvent de sujets de société, qui ne sont pas en rapport direct avec l'actualité. On y parle plus de soi que du monde. L'animateur donne la parole à des auditeurs, soit pendant toute la durée de l'émission, soit lors de séquences qui leur sont particulièrement réservées. L'auditeur expose alors ce qu'il a vécu et/ou ressenti. C'est parfois en présence d'un invité expert interrogé par un animateur dans une émission magazine que le témoignage de l'auditeur est appelé. Dans ce cas l'émission de conseil s'organise principalement autour d'un expert d'un domaine particulier : voyant, astrologue, juriste, prêtre, médecin… Lorsque l'auditeur intervient ce devra être essentiellement pour obtenir une réponse, obtenir un gain immédiat : l'auditeur a un problème qu'il souhaite résoudre et il vient chercher la figure du sage. On se situe alors dans la dimension de l'apport cognitif car le savoir vient d'en haut. L'auditeur occupe une place basse, il s'interroge, cherche à comprendre et à savoir, et ne trouvant pas de réponse à son problème, très souvent autocentré, vient l'exposer au spécialiste, vient témoigner de sa situation, témoigner de ses difficultés, afin d'obtenir, d'acquérir, un nouveau savoir dont l'utilité lui sera immédiate.

Le témoignage dans les programmes à visée actionnelle  : ici, l'auditeur se trouvera, comme pour le cas des émissions à visées explicatives et explicitatives, confronté à un problème. Comme précédemment il se tournera vers le média pour le mettre verbalement sur la place publique afin obtenir un gain. Mais celui-ci n'est pas de même nature. En effet, la dimension cognitive cède la place à la relation intersubjective. L'auditeur vient confier son problème. L'instance médiatique ne lui propose plus un savoir qui vient d'en haut  ; il se positionne à ses cotés et l'accompagne afin de résoudre le problème rencontré. Pour le média il y a une visée de transformation de l'état du monde et donc une visée actionnelle. L'auditeur a besoin d'être aidé, le média est là pour l'aider, qu'il cherche à renouer contact avec des amis perdus, à rencontrer de nouvelles personnes ou qu'il se positionne comme victime face à ce qui est communément appelé une arnaque. Pour G. Lochard et J. - C. Soulages, ce projet actionnel explique

«  la manifestation de plus en plus accentuée de stratégies persuasives, orientées suivant les situations :

•  soit directement sur le destinataire invité à agir pour affronter l'adversité ;

•  soit indirectement sur celui-ci par le biais de certaines figures représentatives ou déléguées ;

•  soit plus latéralement encore sur d'autres acteurs tenus pour responsables ou comptables des situations concernées.  »

Dans cette dimension le média et l'auditeur (qui va en bénéficier) ont des visées factitives. P. Charaudeau présente la forme canonique de cette visée qui correspond à «  un Agir sur quelqu'un qui vise à faire quelque chose à ce quelqu'un sur un autre patient humain (…) Cet agir est donc un Faire Faire qui comprend deux agents et deux processus, avec au minimum un patient humain.  »

L'observation de ces modèles nous apprend que le témoignage de l'auditeur ne se confine plus à certains programmes de parole privée, basés sur la narration de soi et sur la présentation de ses difficultés devant l'existence, dont la figure emblématique reste sans doute l'émission proposée par Macha Béranger, la nuit sur France Inter, mais s'est répandu dans l'ensemble des genres interactifs.

Pour conclure, face à la présence de certains discours, expliquant que, désormais toutes les paroles se valent dans les médias, que la critique disparaît au profit de récits personnels tenant lieu de démonstration et, dès lors, annonçant la fin de la sphère publique et de l'espace politique médiatique, nous posons la question de savoir dans quelle mesure est-il possible de rendre compte et comment peut-on mieux comprendre la réception de cette parole témoignante.

Pour D. Mehl,« dans le processus de réception que se niche la délibération sociétale (…) le spectateur (…) est (…) interpellé par des énoncés différents, discordants voire opposés. Enclin à s'identifier avec tel ou tel personnage, à se reconnaître dans telle ou telle option de vie, il est conduit à faire un tri. En fonction de ses propres convictions et habitudes mais aussi en consonance avec ses propres incertitudes et doutes.  »

Elle défend l'idée d'un espace du débat qui c'est simplement déplacé. Auparavant très médiatisé, il serait aujourd'hui essentiellement dans la sphère privée, prenant comme point d'appui la pluralité des témoignages médiatiques. Notons cependant que l'appropriation de ces programmes dans la vie quotidienne des auditeurs est difficilement palpable. En effet, afin de donner des résultats quantifiables et mesurables il faut s'exercer à replacer les sujets dans un cadre, un environnement et des circonstances d'écoute proches de la situation réelle de la réception quotidienne. Il importe également de prêter une attention aux dimensions intersubjectives, familiales, structurales dans lesquelles s'exerce la consomm­ation courante du programme. Or la combinaison de ces dimensions est unique pour chaque individu. S'il est donc légitime de s'intéresser à la réception, force est de constater qu'elle n'est et ne sera jamais figée. Autrement dit, les discours construits dans la société, à partir des discours médiatiques, resteront sans doute encore longtemps difficilement saisissables.