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Nicolas Becqueret
ATER à l'Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle, UFR Communication
Chercheur au GRPC, Groupe de Recherche en Psychologie de la Communication
Secrétaire général du Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Radio (GRER)

Laurent Gago
ATER à l'Université de Marne la Vallée, UFR Arts et Technologies
Enseignant à l'Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle, UFR Communication
Chercheur au CREDAM, Centre de Recherches sur l'Education aux Médias

 

Cet article est paru dans les Actes du colloque international : - L'expression lycéenne : enjeux et contenus des journaux produits par les jeunes -, Université de la Sorbonne, 13-14 mai 2005, Les cahiers du CREDAM numéro 5, octobre 2005.

 

La parole des jeunes sur Internet. Approche des dispositifs interactifs et des discours

 

Avec l'avancée de l'équipement informatique des foyers français, l'utilisation d'Internet connaît un développement croissant . Au delà de la diffusion d'informations éditoriales et sonores, ces espaces électroniques permettent une mise en relation des internautes . Parmi ces sites, ceux dévoués à l'expression des jeunes rencontrent un très grand succès. Partant de ce constat, l'attention a été focalisée sur les lieux d'échanges lycéens. Après une observation préalable nous avons retenu deux grands sites qui, par leurs audiences auprès des jeunes, représentent aujourd'hui des figures incontournables de l'Internet. Il s'agit de Voila.fr et de Skyblog.com . Nous proposons de mettre en évidence l'organisation des chats au sein du premier et des blogs dans le second. Ces dispositifs exposent des discours qui font entendre les voix des jeunes, peu représentées dans les médias traditionnels. Leurs particularités tiennent aux formes d'énonciations témoignantes représentées par l'usage de pronoms personnels ( je, me, moi ) mais aussi par des formes discursives (contraction de la langue). Nous avons questionné les particularités de ces discours. En effet, comment s'organisent-ils ? Quels contenus les animent ? Que révèlent-ils ? Notre problématique principale s'articulera autour de ces questions. Une première partie présentera les dispositifs choisis pour l'analyse, une seconde décrira un fragment de discours émis sur ces supports. Enfin une dernière partie proposera une tentative d'interprétation de ces lieux d'interactions . Dans ce cadre, la thématique de l'expression lycéenne sera mise en évidence.

 

Les pratiques interactives électroniques : entre « chats » et « blogs »

 

La récente généralisation d'Internet a engendré de nombreuses pratiques d'échanges électroniques auprès des lycéens français. Inspiré de la dynamique fondatrice de l'Internet - le libre échange d'informations - les acteurs de ce média (concepteurs et usagers ) ont développé des modes d'interactions à travers plusieurs dispositifs : messageries, chats, forums de discussion, blogs… Le cas des fournisseurs d'accès français et en particulier du portail Voila.fr, rattaché à Wanadoo de France Télécom, en constitue un exemple. Dans le même ordre d'idées, la mise en ligne des grands médias français depuis 1999, est significative du déploiement de ces dispositifs. A cet égard, Skyrock a investi ce secteur en créant un site Internet très complet . Ainsi, depuis quelques années, ces deux sites relaient la parole des lycéens, spécifiquement via la thématique  lycée sur le chat de Voila.fr et au travers de nombreux blogs disponibles sur Skyblog.com, faisant référence aux établissements scolaires.

La parole des lycéens est donc largement diffusée sur ces nouveaux supports de communication. Pour les auteurs de ces discours cela entraîne par conséquent l'endossement et la maîtrise des normes (ici les codifications langagières) engendrés par le dispositif technique. En effet, si l'on s'en tient aux théories fondatrices de M. Bakhtine , chaque sphère de l'activité humaine comporte un répertoire de genres discursifs liés à des normes de fonctionnement. Partant de ce postulat général, nous proposons d'importer ces théories dans le champ des échanges discursifs interactifs électroniques. Ainsi, nous faisons l'hypothèse que les activités des lycéens sur Internet s'organisent à partir des imaginaires socio-discursifs liés aux représentations des types de discours, déterminant leurs productions dans ces espaces . Dès lors, nous proposons d'entreprendre l'analyse de quelques contenus issus de ces énonciations. En d'autres termes, notre démarche consiste à identifier les visées communicatives intrinsèques à ces échanges .

 

Avant de présenter les sites étudiés, définissons les chats et les blogs de manière très générale.

Le chat représente un lieu d'échange synchrone plurilingue en ligne. Les discours tenus sont éphémères : le dispositif ne permet pas la mémorisation des énonciations produites. L'échange écrit est collectif et simultané entre des intervenants réunis en un même lieu, appelé « salon ». Lié à une thématique particulière, il s'inscrit dans une dynamique d'immédiateté proche de l'oralité. Dans ce cadre, les participants entrent et sortent de l'espace de communication, faisant de la discussion un moment discontinu.

Le blog désigne un site Internet à part entière, asynchrone, constitué de plusieurs pages déroulantes plus ou moins actualisés. A la différence du chat l'ensemble des productions y est archivé . L'observation générale met en évidence des données de diverses natures, exposées sous forme d'énonciations multiples : textes, liens, courts extraits sonores, photos et images variées. Mises à jour par les dépositaires du site, ces données (appelés   post ) sont classées automatiquement par ordre chronologique de publication. Selon nous, plusieurs catégories les caractérisent et s'enchevêtrent entre elles : la première désigne des pages de type informatif. Dans ce cadre, la thématique proposée prime sur l'identité du créateur. Ce sont très majoritairement des informations spécifiques qui font alterner des données factuelles, des actualités et des points de vue, des réflexions... La seconde catégorie s'inscrit dans une perspective davantage artistique (proposition graphique et/ou sonore). Enfin, un dernier type de blog met en présence un mode d'énonciation plus autocentré. Cette catégorie s'inspire en effet, de la thématique du journal intime . Ces sites sont empreints de marques discursives pronominales à la première personne ( je, me, moi ) . Ils montrent que les concepteurs se présentent et se racontent en faisant partager leurs impressions et leurs sentiments.

Notre corpus, issu d'Internet, constitue un matériau idéal : la capture d'écran a permis d'analyser l'architecture des sites et de saisir les discours sans problèmes méthodologiques particuliers et sans influencer les internautes. Néanmoins, nous nous sommes heurtés au choix subjectif de l'échantillon (taille du corpus, sujet des interactions, choix des échanges…). En ce sens, les résultats énoncés n'ont de valeur que pour les seuls cas observés. De plus, nos classifications ne sont pas étanches tant le réseau Internet est abondant et en constante évolution.

Pour identifier les dispositifs nous nous sommes inspirés des travaux de recherches qui ont élaboré une classification des principaux traits des dispositifs électroniques. Ils proposent d'observer la présence d'indicateurs lexicaux (vocabulaire pronominal utilisé dans les pages), hypertextuels (liens, interactions), sémantiques (identification de la langue, thématiques), et enfin présentationnels (police de caractère, couleurs de fond d'écran…). Pour traiter au mieux notre objet, nous avons dû circonscrire les traits qui faisaient référence à notre question de départ et nous limiter aux indices lexicaux et sémantiques. Ainsi, nous avons sélectionné ceux qui nous paraissaient les plus caractéristiques des formes discursives associées à la thématique du lycée.

 

Description des dispositifs et des pratiques discursives

Afin de favoriser la lisibilité et la compréhension de la démarche, nous proposons de présenter successivement le chat lycéen de Voila.fr puis les blogs de Skyblog.com. Ces deux sitespermettent l'énonciation d'un grand nombre de sujets. Dans ce cadre, signalons que la parole des internautes y est régulée par des modérateurs discrets bien qu'omniprésents. Ils censurent les thématiques se rapportant à la pédophilie, au racisme, à la diffamation et au sexe, dans le respect de la législation française en vigueur.

 

Le chat lycéen sur Voila.fr

La page d'accueil du  chat  du site Voila.fr offre quatre grandes thématiques de contact : la zone géographique, la tranche d'age, des thématiques particulières (lycée, mais aussi actualité, foot, finance, etc.) et un grand nombre de thématiques personnalisées crées par les internautes. Précisons que le nombre de connectés simultanément en présence (pour notre période 18 000 connectés en moyenne) est affiché sur cette page. Une fois la thématique choisie, l'internaute entre dans un espace où les visiteurs discutent, dénommé le salon . Il prend la forme d'une page déroulante , en trois parties. L'élément supérieur présente principalement un bandeau qui rappelle le nom du site. Sous ce bandeau, l'écran est divisé en deux parties : d'un côté figure dans un cadre la succession des énoncés des internautes, s'inscrivant en temps réel, et de l'autre y paraissent le nombre de connectés et les pseudonymes des internautes en présence simultanée dans ce salon.

En premier lieu, l'observation des modes de discours a permis de mettre en évidence la contraction des mots, la réécriture de la langue orale et une réappropriation des signes typographiques (smileys, points d'exclamations, sigles, onomatopées, abréviations, phrases morcelées…).

  Exemples  : «  men fiche je laime pu ! wala  » signifie « je m'en fiche je ne l'aime plus ! Voilà », «  je sui po jalouz  » signifie : « je suis pas jalouse suivi d'un smiley souriant indiquant la bonne humeur » ou encore : « un bisou  jpe en fr un a toi oci  » signifie « un bisou, je peux en faire un à toi aussi ».

En majorité, le discours présenté dans le chat lycéen revêt une forme qui entremêle les propos de plusieurs interlocuteurs sous la forme de dialogues, de trilogues voire de plurilogues. De plus, le grand nombre de connectés en présence crée des chevauchements de tours de parole provoquant des échanges écrits peu linéaires. Il s'agit donc d'un espace de discussion à la fois complexe, ouvert et non exclusif.

Les  chateurs occupent diverses places énonciatives lors de leurs interventions sur le web. Nos observations nous ont permis d'en distinguer six grands types  : la conversation, le témoignage, la mise en scène égocentrée, l' accompagnement, l'annonce et la provocation.

  La conversation   Elle représente un échange en rapport avec des thématiques de la vie courante : amitié, voyage, lycée, etc. Voici un exemple de conversation entre Selenee et Mélusine  :   «  Selenee : T'as eu des reponses pour tes ecoles ? Melusine : j'ai eu réponse pr rennes j'passe un entretien en mai Selenee : Tu vas venir a Rennes alors ? Melusine : voui, le 11 à 9h30 avec maman ou ptet toute seule (…) jsais pas on a pas encore tout organisé Selenee : Ahh, J'suis contente là   »   L e témoignage   Le témoignage est une parole essentiellement articulée autour d'une expression personnelle. Plus généralement il s'agit d'un partage qui permet de confirmer la vérité ou la valeur de quelque chose, d'accéder à la reconnaissance d'une préoccupation ou d'une souffrance. La discussion entre HKDS et Gothikorn illustre cette catégorie . L'interaction commence par un partage autour des goûts musicaux et se conclue dans la compassion :   «  Gothikorn: c tro bien rammstein! (…) ta été a leur concer? HKDS : (…) je sé pas si y'aurait des places pour moi (…) paske jsuis en fauteuil roulant (…) a cause de mon accident de bmx G: ah ok dsl (…) mai c pa pr toute la vi le foteuil? HKDS : si (…) malheureusement G : oh mon povr jsui dsl (…) et kan teske sa t arriver? HKDS : l'année derniere G : putain c vraimen tro bete(…)G : et comment c arriver? chute? HKDS : ouai une chute j'était en train de faire un backflip très haut et ge sé pas ce ke gé eu jsuis tombé sur le dos et j'était pendant un moi dans lcoma G : ouahou c pa rien! (…)G : g mal o coeur pr toi(…) sa me touche g meme envi de pleuré! (…)tu doi me trouver chochote! HKDS : nan (...) on va en pv? G : ouai.  »   On notera le retrait des locuteurs en privé à la fin de cet échange, afin de le poursuivre entre eux, sans être lus par les internautes.  

La mise en scène égocentrée

Cette dénomination distingue un type de discours pour lequel le chat représente avant tout un lieu permettant aux internautes lycéens de se représenter dans l'espace discursif en jouant un rôle particulier (rappelant le jeu de rôle) parfois signalé par le pseudonyme choisi. C'est le cas de  Léa la chieuse qui intervient en proposant des interventions de ce type   :

«  LeA La ChiEuSe : g les levre tte gercé et pi le nez tou rouge ki me brule ouinnnnnnnn je veux un calin ouinnnnnnnnnn Wiild : ah c bete han pleurnich po comme une gamine (…) LeA La ChiEuSe : jfé cke je veux.  »

L' accompagnement

L'accompagnement se caractérise par un ensemble d' interactions d'ordre essentiellement phatique. Les internautes saluent chaque nouvel arrivant dans le cadre des interventions et restent en marge des échanges tout en y étant très attentifs. Davantage lecteurs que producteurs de messages, ils ponctuent également le discours global du chat par de courts commentaires. C'est le cas de BlackShark dont voici la tonalité des interventions :

                  «  Salut à tous / salut Cendre / Salut merzhin / le breton salut julieenn / resalut Takeoo i/ ça va et toi ? / salut / vive la bretagne  »  

L'annonce

Les annonces sont des interventions en marge des échanges. Les propos opèrent une rupture thématique totale avec l'ensemble des discours co-construits. La plupart du temps, les dépositaires d'annonces cherchent à dialoguer d'un sujet particulier dans un espace de chat privé. Voici deux exemples :

«  Natty : Salut. Je suis un mec de 16 ans, je cherche une fille avec la webcam   si possible, merci !! pv.  » «  manu57 :bonsoir  je  cherche  des  filles  pour   faire  des  photos  de mode  (…)  venez  me  parler  en  pv  svp  »

 

La provocation

Cette dernière grande thématique consiste à contrevenir délibérément à la charte déontologique affichée dès l'ouverture du site et consultable en permanence par le chateur dans un onglet spécifique. Ces règles interdisent les insultes, les propos grossiers, vulgaires, racistes, fascistes, homophobes, diffamatoires, la divulgation d'informations privées ainsi que l'abus de majuscules, de changement de couleurs ou de signes divers. La répétition rapide de mêmes éléments typographiques signifiants ou non signifiants (additions de lettres et de chiffres) appelée flood , est également proscrite. Les propos de cette catégorie sont en rupture complète avec les thématiques échangées et apparaissent pour bouleverser le déroulement des dialogues. Les auteurs sont en général très vite écartés du dispositif par un modérateur

 

On signalera également l'existence de très nombreux échanges en  privé  dénommés pv qui permettent le dialogue sans être lu par l'ensemble des internautes.

 

Les blogs lycéens sur Skyblog.com

Le site Skyblog.com met en évidence le fait qu'il génère la création d'environ cinq mille nouveaux blogs par jour. Ainsi, fin avril 2005 près de deux millions de blogs sont recensés comptant soixante quinze millions d'articles écrits par les dépositaires des sites et environ quatre vingt quinze millions de commentaires déposés par les lecteurs, uniquement sur ce site. Il s'agit donc d'un lieu d'expression conséquent. Signalons que les Skyblogs sont tous agencés de la même manière : ils constituent des modèles de pages déroulantes que les utilisateurs remplissent à leurs grés.

L'observation du contenu des sites issus de notre corpus a permis de distinguer la récurrence d'un mode énonciatif où la présence des pronoms à la première personne est effective. Par conséquent, les discours apparaissent majoritairement autocentrés. Plus précisément trois grandes thématiques ont pu être circonscrites sous les dénominations suivantes : « mon lycée », « mes amis » et « moi ». A chacune d'elles correspondent des productions différentes traduisant les multiples représentations que les producteurs des messages se font de leurs lectorats.

Mon lycée  

Sous cette thématique, l'établissement peut être mis en avant dans tout ce qu'il présente d'institutionnel : on y trouve le nombre d'élèves, le logo, la situation géographique, les règles de la vie scolaire et parfois le règlement intérieur.

Voici un exemple : «  ici c'est une autre vision du Lycée Gaston Bachelard (…) Histoire d'informer "la communauté Bacheleriènne" de tout ce qui se passe dans notre bahut!  »

L'adresse de ces blogs est souvent diffusée au sein des établissements, comme le montre ce commentaire : «  g vu cette adresse sur une table en phisik dc voila lidée est grave original jespère avoir de prochaine info biento  »

A contrario, u n grand nombre de sites se veulent transgressifs :

- par exemple certains blogs ont été spécifiquement créés contre la loi Fillon comme « blanqui-en-greve.skyblog.com » : «  Ce blog est dedié a la LUTTE contre la loi Fillon dans toute la France et plus particulièrement chez nous en région parisienne (Saint ouen 93) au lycée A. Blanqui  » ,

- d'autres jouent sur le registre de l'humour et de la provocation : «  Voila les photo officiel d'un lycée d'andouille lol mais bon on fait tout pour garder cette réputation  ».

Les créateurs de blogs peuvent également tenter de renforcer l'identité d'une classe ou d'un lycée : « La vie au jour le jour d'une classe et d'un lycée un peu particulier. Chariage entre Classe. Clash. Cafouillage. Tout é permi  ».

Tous invitent les lecteurs à poster leurs photos prisent au sein de l'établissement et à faire part des informations et autres potins liés à la vie du lycée.

 

Mes amis du lycée

Sous cette thématique on trouve des présentations, des photos et des textes décrivant les liens d'amitiés :

- «  vs allez découvrir mon petit monde à moi ac tous mes amis  »

- « je crée un skyblog sur les gens de mon bahut. donc je vs presenterai un peu mes potes de classes (camarades) ceux que j'aime et ceux que j'aime pas trop  ».

Les commentaires postés par les visiteurs sont essentiellement composés de messages des amis du blogeur.

 

Moi

Dans ce cas de figure, le blogeur propose un discours autocentré. Il parle essentiellement de lui, de ses impressions, de ses sentiments à l'égard du monde environnant. De grandes disparités qualitatives apparaissent au sein de cette catégorie. Les niveaux d'écriture y sont inégaux.

Exemples :

- «  je ss une fille sympas, brune yeux marron. Je ss très gentille. je ss célibataire. pour linstant. J'aime la vie le basket et vener voir mon blog car ya plein de photos de mon bahut »

- «  Salut C la touffe (…) et oui je possède une chevelure très développé.(…) j'ai 18 ans, je fait de la natation et je suis en Tle S(…). Comme j'aime bien déconner au lycée je vais continuer sur le net grâce à ce blog  »

Le lecteur est encouragé à laisser des commentaires évaluatifs du type : «  dites moi ce que vous en pensez en lâchant vos com !  »

Notons que peu de discours se rapportent à l'actualité, à l'exception de commentaires portant sur des événements dont les lycéens sont acteurs à part entière, comme les manifestations contre la loi Fillon par exemple :

«  Demain c'est la manifestation contre la loi Fillon alors on attends de nombreux lycéens et lycéennes. La manif débutera à la place de la république sur Paris à 14h alors bouger vous le cul parsk tout simplement il s'agit de notre avenir !!!  »

 

On peut également observer la reprise d'informations diffusées par la presse écrite portant sur des événements qui affectent le lycée. Voici l'exemple d'un article du journal le Parisien posté in extenso sur le blog, relatant un règlement de comptes entre bandes rivales au sein d'un établissement, suivi du commentaire d'Emeline :

Extrait de l'article : «  Affrontement entre bandes à l'intérieur de deux lycées (…)Le règlement de comptes aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, selon l'inspection académique.  »
Extrait du commentaire : «  donc voila se ki c passer é on en parle sur TF1/FR2/FR3/LE PARISIEN/ é méme a la radio (…) enfin ac d pote on dever étre a 50m de la bagarre ct impressionnan é je peu vous dire ke le lendemain on en entender parler ds toute lé groupe de la récré. é voila mintenan d'apré la léttre ke le principal a fé paraitre ds lé classe ils von encore nous méttre des girlle en + autour du lycée. nous allon aussi avoir c putin de caméra ds lé couloir (…). sa c passer ds notre lycée é c passer o info é c t po marrent enfin bon c fini jespére. »

 

Ces trois grandes thématiques rendent uniquement compte des modes de discours présents sur les Skyblogs portant sur la thématique du lycée.

 

Tentatives d'affirmations identitaires et transformation de l'écrit

 

La diversité des contenus présents sur ces deux dispositifs d'échange, tient aux différents indicateurs discursifs (modification de la langue), aux spécificités techniques (le support d'énonciation) et à la reconnaissance de ces dispositifs par les utilisateurs. Bien que leurs structures soient distinctes, ils ont en commun une codification socio-langagière très spécifique. La connaissance et la reconnaissance par les usagers (rédacteurs et lecteurs) de ces codifications engendrent plusieurs conséquences liées en particulier à l'expression du moi et à l'exercice d'un jeu discursif particulier.

L'expression du moi

Les chats comme les blogs offrent la parole à tous au sein de l'espace public. Or, que révèle cette soif d'expression individuelle ? Ne soulève-t-elle pas directement la question de la subjectivité de l'individu dans son rapport identitaire ? Selon A. Cauquelin, ces sites sont le signe d'une recherche d'identité en passe de se décomposer. Ils sont une quête où l'exposition de « soi » prime . Dès lors, faut-il voir dans ces désirs d'expression un besoin de reconnaissance sociale ou bien encore, une démarche altruiste de partage ?

F. Jauréguiberry pense quant à lui que les énonciateurs de témoignages sur Internet superposeraient leurs identités réelles avec des identités virtuelles selon deux démarches distinctes. La première permettrait une reconnaissance sociale pour celui qui n'en disposerait pas où peu dans le monde réel. Pour la seconde, l'univers virtuel autoriserait des expériences inédites vécues différemment du monde réel . De ce point de vue, les formes énonciatives à la première personne ( je, moi, me ) traduiraient des projections de soi-même dans un autre univers (ici virtuel), permettant dès lors de se situer et de se penser dans sa capacité créatrice .

Nous retiendrons que l'expression du moi sur Internet représente une forme de distinction sociale. Chaque utilisateur trouve un terrain favorisant l'expression de sa différence par l'affirmation de son identité. Le principe de la reconnaissance sociale y représente un des enjeux importants. En effet, les discours observés révèlent des postures énonciatives le plus souvent égocentrées, traduites par des jeux de mises en scène et de représentations narcissiques. Les blogs proposent des modes énonciatifs permettant de se penser en dehors des règles imposées et de se vivre sur un mode particulier. La parole y est donc principalement orientée vers des formes de témoignages personnels. Néanmoins, ce foisonnement de blogs disponibles sur la toile nous amène à penser qu'ils ne sont pas toujours suivis par les récepteurs . De ce point de vue, le souhait des émetteurs correspondrait davantage à une volonté d'expression sociale plutôt qu'à un projet de construction réciproque avec leurs lecteurs. Enfin, on peut noter que la communication virtuelle, aussi exaltante qu'elle soit par ses multiples possibilités d'expressions, peut provoquer le repli. Elle constitue un danger possible, inhérent à ce type de pratique.

 

De nouveaux types de discours ?

Tels qu'ils s'organisent dans ces espaces électroniques, les modes langagiers font tomber les jugements de valeur liés à la maîtrise de l'écrit. Dès lors, ils ne représentent pas un élément intégrateur essentiel, dans la mesure ou celui ci est écarté par le refus massif et volontaire des conventions orthographiques et grammaticales au profit du  vivre ensemble .

Nous avions fait l'hypothèse que les discours lycéens sur l'Internet étaient normés. L'observation nous a appris non seulement que cette normalisation existe mais qu'elle est complexe et multiple : ainsi, ils représentent de nouveaux registres communicationnels destinés à un usage particulier - énoncé uniquement dans ce contexte - constituant des formes d'expressions souvent proches de l'argot. Conséquemment, dans la lignée des études en analyse du discours, nous pouvons affirmer que les utilisateurs lycéens endossent des rôles langagiers particuliers au sein des chats et des blogs. De ce fait, nous assistons à l'émergence de nouveaux contrats de communication, spécifiquement liés aux situations discursives électroniques. L'apparition de ces modes discursifs n'est pas étonnant : à chaque situation doit correspondre des cadres de références. Ils sont nécessaires car ils permettent aux membres d'une communauté sociale d'entrer en interaction. De nombreux travaux issus des sciences du langage ont en effet démontré qu'il est impossible de communiquer sans maîtriser ces cadres intrinsèquement liés aux situations de communication . Or, dans la situation analysée, ce cadre est extrêmement complexe, puisqu'il nécessite à la fois la maîtrise d'un outil technique constitué d'interfaces particulières, impliquant une réorganisation générale des discours écrits hors normes .

S'interroger sur les conséquences possibles de la généralisation de cette nouvelle écriture proposant une sorte de phonétisation de la langue est légitime. Cependant, à notre connaissance, aucune recherche n'a établi de corrélation entre la pratique régulière de ce type d'écrit et les éventuelles difficultés engendrées pour l'apprentissage de la langue française. Pour notre part, nous invitons le lecteur à considérer ces productions sur le mode des registres de langue. Nous faisons en effet l'hypothèse que cette écriture représente une sorte de tentative proposant de lier le fond des propos avec leurs formes. En effet, au sein de notre classification, dans la thématique conversation sur le chat et sur les blogs lycéens produisant un discours institutionnel , les écrits respectent davantage les règles du français que les discours provocants et insultants. Nous pensons qu'il s'agit d'un jeu de langage bien plus subtil qu'il n'y parait au premier abord : par ces pratiques, les jeunes internautes démontrent une réelle compétence discursive, jouant tout à la fois avec les signes graphiques, les redondances de lettres, calquant par écrit la tonalité de l'oral dans une multiplication permanente des échanges (en salon mais aussi en pv). La production de ces discours simultanés , et sur des registres différents, provoque une rapidité dans l'exécution des échanges expliquant sans doute en partie cette nouvelle forme d'écriture.

 

Conclusion 

Cette communication a permis d'examiner les cadres à l'intérieur desquels les couches textuelles et discursives entrent en corrélation avec les interfaces techniques. Leurs spécificités imposent de revisiter les approches méthodologiques et théoriques de l'analyse conversationnelle et de la linguistique de discours. En effet, ils montrent directement à quel point ils sont dépendants des potentialités induites par le support technique. Dans ce cadre, ils convient d'appréhender tout autant la position des concepteurs que celle des utilisateurs. Comme le note P. Flichy , ces deux acteurs participent au processus de développement de l'innovation. Ces derniers orientent l'usage de la technique par les contenus qu'ils véhiculent.

Par ailleurs, signalons la responsabilité incombée aux dirigeants du site Skyblog.com, filiale de la société Vortex, propriétaire de la radio Skyrock dont l'audience auprès des jeunes est majeure. Tout comme le portail Voila.fr, cette société développe des espaces permettant le lien social en créant des structures appropriées pour les jeunes. Néanmoins, ces discours prennent place au coeur d'une entreprise commerciale. Les skyblogeurs ont-ils conscience de cet état de fait ? La volonté de Skyrock est-elle avant tout d'ouvrir un espace de parole où de faire des bénéfices ? Comment faire la part des choses dans la mesure ou la frontière entre ces deux univers n'est pas définie ? La problématique de la parole dans les espaces médiatiques n'est pas nouvelle mais sa présence sur Internet pose un ensemble de questions dont il faut se saisir rapidement. Devant l'immense succès de ce nouveau type d'expression les enjeux ne sont pas anodins. L'éducation aux médias et en particulier aux NTIC revêt ici tout son sens. La tâche n'est pas aisée mais, aussi modeste soit-elle, il n'y a pas de tentatives vaines.

  

 

Références bibliographiques

 

- Mikhail Bakhtine, Esthétique de la création verbale , Paris, Gallimard, 1984.

- Valérie Baudouin, Serge Fleury, Marie Pasquier, Benoît Habert, Christian Licoppe, « Décrire la toile pour mieux comprendre les parcours. Sites personnels et sites marchands », Réseaux n° 116 , Hermès publication, CNRS, 2002.

- Anne Cauquelin, L'exposition de soi, du journal intime aux webcams, Paris, Eshel, 2003.

- Patrick Charaudeau, Le discours d'information médiatique , Paris, Nathan, 1997.

- Pierre Coirier, Daniel Gaonac'h, Jean-Michel Passerault, Psycholinguistique textuelle, approche cognitive de la compréhension et de la production des textes , Paris, Armand Colin, 1996.

- Patrice Flichy, L'innovation technique, récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l'innovation , Paris, La découverte, 2003.

- Francis Jaureguiberry, Serge Proulx, (dir.), Internet, nouvel espace citoyen , Paris, l'Harmattan, 2002.