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Jean-Jacques Cheval
Maître de conférences à l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3
Chercheur associé au laboratoire CERVL- Pouvoir, Action publique, Territoire (UMR 5116 du CNRS)
Responsable du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Radio (GRER)

Cet article est paru dans Langues d'Aquitaine, dynamiques institutionnelles et patrimoine linguistique, sous la direction de Alain Viaut, avec la collaboration de Jean-Jacques Cheval, Bordeaux : Editions de la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 310 p.


MÉDIAS AUDIOVISUELS FRANÇAIS
ET LANGUES RÉGIONALES MINORISÉES
CONTEXTE NATIONAL ET EXEMPLES AQUITAINS

En France, très tôt l'Etat a affirmé son monopole sur les télécommunications puis en déclinaison sur l'audiovisuel. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que dès leurs inventions, on a superposé aux télécommunications une lecture idéologique parallèle à l'idéologie nationale naissante, s'incarnant dans une République universelle une et indivisible, et associée à des options de rationalisation. Le télégraphe de Chappe a été entre autre investi de la charge de réaliser l'unité et l'égalité du territoire par l'information, une information non pas interactive, mais partant d'un centre (l'Etat) vers la périphérie (l'ensemble des citoyens) .


1. LE CADRE HISTORIQUE : CENTRALISATION-DECENTRALISATION DE LA RADIO ET DE LA TELEVISION EN FRANCE


1.1 - La radiodiffusion publique

Quand naît la radiodiffusion et alors que l'on appréhende encore mal ses potentialités, elle se voit parée à son tour de fonctions égalisatrices ou uniformatrices. "La radio allait unifier le territoire, apporter à la campagne les éléments de la modernité, sans pourtant corrompre sa pure âme villageoise" . Une logique d'aménagement du territoire soutient une utopie de la communication radiophonique. "Les hommes de radio lui assignent alors un rôle dans l'organisation du territoire et la répartition des populations". Mais en fait, en France, "la radio se diffuse selon une logique locale". A la veille de la Seconde Guerre mondiale, 15 postes publics, doublés par 13 postes privés couvrent le territoire français. La majeure partie des programmes de chacun sont originaux. Une seule station publique, Radio Paris couvre la France entière, les autres sont des stations régionales ou locales. Contrairement à la Grande-Bretagne ou la centralisation au sein d'un service public unique (la BBC) a été une règle vite établie, les pouvoirs publics français, allant pour une fois à l'encontre de leurs traditions, ont permis la naissance d'un système mixte de radiodiffusion, associant un service privé et public durant une période transitoire qui couvre l'entre-deux-guerres.
Localisées par leurs structures, leurs implantations, les stations locales d'avant guerre ne sont pas pour autant les vecteurs des cultures régionales, à quelques exceptions près. "En dehors des informations, quelques “marqueurs” signalent le caractère local du programme. La langue, patois ou langue régionale, pour être utilisée de façon marginale, est pourtant requise pour certaines émissions. [...] Le folklore alimente aussi les références à la ville et à la région : les indicatifs, par exemple, sont souvent choisis dans les traditions locales, le biniou à Rennes, une chanson du folklore alsacien à Strasbourg..." .
L'usage des langues régionales n'est pas interdit sur les ondes des postes T.S.F., mais il est rare et réservé à un usage folklorique. Dans le domaine des télécommunications par contre, l'usage du français est de rigueur. Mlle Le Bleis a pu rappeler l'anecdote de son grand-père, radio sans-filiste amateur dans les années 30 dans le Sud Ouest et qui s'était fait fermement rappeler à l'ordre par l'administration des PTT, pour avoir employé le patois dans ses communications avec un ami radioamateur. La peur de l'espionnage et les nécessités du contrôle aisé du contenu des conversations motivaient cette interdiction .
L'approche de la Seconde guerre mondiale remet en cause l'indépendance des stations locales de radiodiffusion, privées ou publiques au profit d'un contrôle de plus en plus étroit dicté par les nécessités de l'heure et plus largement par la prise de conscience de la place et du rôle croissants qu'acquiert la radiodiffusion. Durant la guerre, la réquisition, la mise sous la coupe ou l'utilisation des stations locales, soit par le régime de Vichy, soit par les troupes d'occupation allemandes, confirment cette tendance. La Libération sonne le glas du système mixte au profit d'un organisme public unique la RDF, qui devient la RTF en 1949, puis l'ORTF en 1964.
Si la décentralisation initiale était la résultante de décisions politiques, elle était aussi la conséquence de faiblesses techniques et professionnelles originelles. Les capacités réduites des émetteurs, le potentiel des équipements, la lattitude consentie à des initiatives individuelles, convenaient à l'existence de petites stations locales ou régionales. Au fil des ans, l'augmentation de la puissance des émetteurs, la réalisation de réseaux de diffusion permettant le relais des programmes d'une station à l'autre lèvent ces obstacles ou ces difficultés pour permettre une centralisation technique qui accompagne les souhaits politiques de reprise en main de la radiodiffusion. La remise en service du puissant émetteur ondes longues d'Allouis en 1952, permettant d'un seul point d'émission la couverture quasi totale du territoire signifie l'accomplissement de cette tendance.
En 1944, les stations régionales de radio ont été endommagées sinon détruites par l'armée allemande dans sa retraite. Il faut attendre leur réfection pour que reprennent les programmes locaux, diffusés à ce moment là en décrochage du programme national. Par la suite, des mesures d'économie, décidées en 1947, limitent le nombre et la durée des décrochages. Ce dont se plaint par exemple tel quotidien de Montpellier “Terminées ces chroniques parfumées par notre langue d'Oc ou marquées par l'esprit régionaliste [...] Désormais, c'est Paris qui parlera, chantera ou jouera” . Au cours des années suivantes, les programmes régionaux connaîtront des variations notables et assez inégales d'une station à l'autre. Le maintien de ces émissions fait débat, leur qualité est en cause pour certains. D'autres, au contraire, défendent les potentialités de la province face à Paris. Au début des années 50, chaque station régionale ne dispose que de deux heures quotidiennes d'émission et d'une soirée par semaine pour diffuser ses programmes propres. Si une volonté de décentralisation est affirmée à plusieurs reprises, les faits contredisent les intentions. La mise en place de stations de vacances à Rennes, Biarritz ou ailleurs n'étant en rien comparable à la création de véritables stations régionales de radiodiffusion.
Toutefois, en 1963, une délégation aux stations régionales est créée. Dans cette période, le volume horaire alloué aux radios de province augmente de manière sensible mais c'est surtout en matière d'information, alors que les programmes artistiques et d'animation diminuent. Ce mouvement est accentué en 1969 à la faveur d'une réforme de l'ORTF.
Dans l'après guerre, ce qui pouvait rappeler la célébration d'un régionalisme traditionaliste en vogue sous Vichy ou pire le séparatisme encouragé par calcul par les Allemands est banni . Pourtant, des émissions radiophoniques en langues régionales sont créées ici et là. En Bretagne, l'antenne de Radio Quimerc'h accorde une place au breton tandis que l'occitan trouve des créneaux sur les antennes des stations de Toulouse, Nîmes, Montpellier, Perpignan. "Toulouse-Pyrénées diffuse régulièrement depuis 1945, deux émissions en langue d'Oc : la première, le mardi, d'expression languedocienne; la seconde, le vendredi d'expression gasconne. Elles intègrent théâtre, variétés, chants folkloriques, légendes, poésies" écrit Christian Brochand qui ne constate pas moins que les efforts en faveur de ce type de programmes sont très limités à cette époque et dans les décennies suivantes. Dans un tableau des émissions radiophoniques en langues régionales qu'il dresse pour l'année 1965, l'occitan n'apparaît plus.
Pierre-Jakez Hélias, animateur et réalisateur des programmes de Radio Quimerc'h, a pu rappeler que les émissions radiophoniques auxquelles il participait, "outre leur intérêt de reconnaissance culturelle qui devaient s'affirmer par la suite, étaient destinées en priorité aux bretonnants d'un certain âge qui éprouvaient encore quelque difficulté à suivre les programmes en français ou même qui n'avaient qu'une connaissance très sommaire de cette langue".
De la part des décideurs de ces programmes (mais pas de la part de leurs promoteurs) ces émissions répondaient à une motivation utilitariste et bien éloignée d'une volonté de promotion des langues. Néanmoins leur portée symbolique n'était pas à négliger. Toujours à propos du breton, Pierre Jakez Hélias écrit : "Si la boite noire [la radio] s'était mise à parler breton, cela voulait dire que le breton n'était pas un jargon inférieur, médiocre et grossier, en retard sur l'évolution du monde comme ils [ses locuteurs] croyaient qu'il l'avait toujours été par une fatalité historique sur laquelle ils ne s'interrogeaient guère, à quoi bon ! Du coup ils se sentaient revalorisés, promus, admis comme citoyens à part entière et au même titre que ceux des classes dirigeantes. Ils se leurraient quelque peu, mais le sentiment d'infériorité qu'ils éprouvaient depuis si longtemps s'en trouva fortement diminué" .
A l'heure de la disparition de l'ORTF, en 1975, 34 services radiophoniques régionaux existaient. Ils produisaient des émissions à destination régionale ou locale, diffusées en décrochage ou en complément des programmes nationaux en ondes moyennes ou en modulation de fréquence. C'est dans ce cadre que s'inscrivaient de rares émissions radiophoniques en langues régionales . Si le service public radiophonique national était assuré par Radio France, la gestion des stations régionales de radio échappait à cette société et avait été confiée à FR3. Radios et télévisions régionales cohabitaient mais c'était souvent au détriment des premières. FR3 qui développait un slogan ambigu, "FR3, c'est aussi la radio" a privilégié en fait la télévision.
De son côté, Radio France était menacée par les radios périphériques et par la montée d'une contestation émanant des radios libres qui s'inscrivaient souvent dans un cadre local ou régional. Pour contrer ces concurrences, la chaîne nationale a avancé ses propres projets de décentralisation. Trois radios locales, émettant en modulation de fréquence, sont créées en 1979. Leur rapide succès permet la poursuite d'une expérience encouragée avant et après 1981. De plus, en 1982, Radio France récupère la gestion des stations régionales de FR3. Elle peut alors envisager la création d'une centaine de radios locales décentralisées distinctes pour aboutir à un maillage étroit du territoire et couvrir presque chacun des 110 "pays" de France recensés par la DATAR.
La réalisation de ce projet est erratique. Elle se déroule en diverses étapes contradictoires évoluant d'une véritable décentralisation vers une plus modeste déconcentration . La création d'un vaste secteur radiophonique privé, local et national et des restrictions budgétaires générales ont conduit les responsables de Radio France à reconsidérer leurs objectifs à la baisse (en 1995, 39 radios locales publiques existent) et à les énoncer en terme non plus de décentralisation mais de constitution d'un réseau national de radios locales. A partir de 1984, les stations déjà créées ont été rapprochées par une signalétique commune. Chacune dans son nom a adopté l'appellation générique de Radio France. Radio Landes et Radio Bordeaux Gironde sont ainsi, par exemple, devenues Radio France Landes et Radio France Bordeaux Gironde. Au-delà de la symbolique, ce rapprochement s'est accéléré et approfondi au fur et à mesure que naissaient des réseaux radiophoniques privés concurrents. Cette logique conduira en 1986 à la création d'une direction des radios locales qui ne sont plus effectivement dénommées radios décentralisées ou radios départementales. Les radios locales publiques sont dotées d'éléments de programmation communs afin d'aboutir à une "rythmique d'antenne", un "habillage" ou une "couleur musicale" d'ensemble, reconnaissables d'une station à l'autre. La recherche de la "variété dans l'unité" devient la formule pour désigner les nouvelles orientations de Radio France . Pour tenter d’éviter le zapping radiophonique, un ton plus nerveux est adopté, organisant la programmation en modules courts où la place de la parole est réduite. Si les stations conservent un caractère de radios de proximité, c'est surtout à travers l'information locale sur laquelle l'accent est mis, plus que sur l'animation ou la culture locale ou régionale. Mais là encore des motivations nationales ne sont pas absentes puisque les stations se doivent de fournir une bonne partie de la matière nécessaire à France Info, créée en juin 1987. Dans les années 90, ces tendances centralisatrices ne sont pas démenties. Les stations locales restent partagées entre leurs vocations et ancrages spécifiques et des orientations nationales communes qui leur échappent.
Malgré ces limites, c'est néanmoins sur les radios locales publiques qu'est assurée la présence des langues régionales sur les ondes radiophoniques publiques en vertu du cahier des charges de Radio France. En 1987, l'article 6 de ce document est ainsi rédigé :
"La société contribue à la promotion et à l'illustration de la langue française dans le respect des recommandations de la Commission Nationale de la Communication et des Libertés. Elle veille à la qualité du langage employé dans ses programmes.
Elle veille à ce que les stations locales contribuent à l'expression des langues régionales" .
On remarquera que la mission de défense de langue française est placée dans le même article et qu'elle précède les missions de la société envers les langues régionales. De plus, l'emploi du verbe "veiller" ressort plus du domaine de l'invitation que de l'obligation et concerne à la fois le bon usage du français que celui en général des autres langues. De fait, la marge de manoeuvre laissée à Radio France est large et se traduit dans les faits par une diversité d'application dans le temps et d'une station à l'autre. On en observera plus avant la réalité et l'évolution pour les radios publiques d'Aquitaine.


1.2 - La télévision publique

En matière de télévision, c'est dès l'origine une logique de centralisation qui a prévalu. La télévision naît officiellement à Paris en 1935 et reste cantonnée en région parisienne jusqu'en 1951, puis entreprend une couverture progressive du territoire. La réalisation de programmes régionaux est pourtant relativement rapide. Il faut en rechercher la raison dans des motivations politiques, c'est pour concurrencer une presse régionale jugée hostile au pouvoir que des centres d'actualités télévisées ont été créés à partir de 1963, chargés de réaliser des journaux quotidiens régionaux d'information.
La création en 1964 de l'ORTF correspond à l'obtention d'une autonomie financière, à la substitution de la tutelle à l'autorité gouvernementale et à la création d'un conseil d'administration. Mais pour les régions, la conséquence est un amoindrissement de leur personnalité locale. L'autorité parisienne est renforcée en même temps qu'est instauré un contrôle de l'activité des stations de province. La télévision régionale fonctionne selon la règle du décrochage y compris après la création de La Troisième Chaîne Couleur, qui naît le 31 octobre 1973.
Dotée d'une vocation régionale, elle intègre les éléments des différentes stations de province. Elle deviendra France Régions (FR3) l'année suivante à l'occasion du démembrement de l'ORTF. Si les débuts des années 70 sont marqués par le thème de la déconcentration, sinon de la décentralisation, les projets restent limités, la critique du "parisianisme" tient lieu d'argumentation et s'accompagne toujours d'un discours utilitariste sur la province chargée d'une mission d'équilibre avec la capitale afin de contrebalancer les dérives d’un centralisme qui n'est pas lui même fondamentalement remis en cause .
FR3 dès sa création souffre de sa double nature. Oscillant sans cesse entre ses missions régionales et sa programmation nationale qui est majoritaire en temps d'antenne et qui occupe les meilleurs créneaux d'audience .
Dans ce contexte, les langues régionales trouvent difficilement leur place à la télévision. Des expériences ont lieu pourtant et en Bretagne par exemple l'utilisation du breton est réelle dès 1964 mais dans les limites, il est vrai extrêmement réduites, de 1 minutes 30 par semaine
L'extension des créneaux consentis à l'usage des langues régionales sera longue à venir. Au tournant des années 60 et 70, une première impulsion politique va dans ce sens. Le 25 février 1970, alors que le ministère de l'information est supprimé et que la tutelle de l'audiovisuel est assurée directement par le Premier Ministre, Jacques Chaban-Delmas en l'occurrence, celui-ci annonce la création prochaine de magazines de télévision en langues régionales.
Pour asseoir l'assise géographique de ces dernières, on ne dispose pas d'études sociolinguistiques, ni d'études de marché. À défaut, on pose l'idée que leur création s'appuiera sur les taux d'inscription aux épreuves facultatives en langues régionales au baccalauréat qui viennent d'être instaurées . En juin 1970, les effectifs inscrits à ces épreuves dans les différentes académies étaient les suivants :

Nombre d'inscrits aux épreuves en langues régionales
au baccalauréat en juin 1970.

Occitan : 2524 candidatsBordeaux : 875Toulouse : 679Montpellier : 817Aix-en-Provence : 138Paris : 15 Breton : 786 candidatsRennes : 761Nantes : 10Paris : 15
Basque : 191 candidatsBordeaux : 186Paris : 5 Catalan : 292 candidatsMontpellier : 255Toulouse : 22Paris : 15

Mais le principe avancé est aussitôt contourné, si selon ces chiffres le magazine en langue occitane devait d'évidence revenir à la station de Bordeaux, on décide que c'est finalement celles de Marseille et de Toulouse qui devront en hériter, avant de surseoir pour plusieurs années à leur réalisation. Les émissions en occitan débuteront en 1982 à Toulouse. Quant à FR3 Méditerranée, elle réalise des émissions en corse (bilingue à l'origine) à partir de 1976 mais jusqu'en 1984, sauf exceptions, l'occitan n'obtiendra pas de créneau régulier .
Bordeaux est donc finalement chargé de l'émission en langue basque. Dans cette répartition des contingences politiques ont pu jouer, mais aussi le fait qu'il semblait difficile de programmer deux émissions en langue régionale sur une même station régionale, ne serait-ce que pour des raisons économiques.
Lors de la création de la troisième chaîne en 1972, la diffusion d'émission en langues vernaculaires devient une obligation inscrite au cahier des charges de la chaîne, obligation à laquelle est soumise à son tour FR3 à partir de 1975.
Roland Cayrol dressant le bilan de la décentralisation de FR3 en 1979 relève la présence "pour Strasbourg, Bordeaux, Rennes et Marseille des émissions hebdomadaires d'une demi-heure en langue régionale : alsacien, basque, breton et corse". Il ajoute, "les projets d'émissions en langue provençale et en occitan ont jusqu'ici été repoussés, pour des raisons essentiellement politiques semble-t-il". De façon plus générale, il se montre sévère par rapport à la décentralisation qu'il juge véritablement absente en montrant du doigt les faiblesses de FR3 : "très petit nombre de programmes décentralisés, droit permanent de regard de Paris sur ces programmes [...], contraintes techniques du réseau national aux quelles sont rattachées les régions, contrôle budgétaire strict et détaillé auquel elles sont soumises, rôle politique qu'on entend faire jouer aux actualités régionales" . En fait, ainsi qu'a pu le faire remarquer Patrice Flichy, il n'y a décentralisation que de la production (et encore celle-ci est modeste), pas de la programmation .
L'ambiguïté intrinsèque de FR3 continue à faire débat au début des années 80 quand la régionalisation est au goût du jour. A la faveur de l'alternance politique et sous l'impulsion nationale de Guy Thomas et de Serge Moati, la troisième chaîne s'y essaie. Les projets sont nombreux. A terme, ils doivent aboutir en quelque sorte à l'éclatement de la chaîne au profit de sociétés régionales de télévision dotées d'une liberté de production et de programmation. En attendant cette profonde réforme structurelle, les manifestations concrètes de l'esprit nouveau se traduisent par une augmentation conséquente des créneaux horaires réservés aux programmes régionaux. C'est une ouverture dans laquelle se glissent des émissions en langues régionales.
La régionalisation sera de courte durée. Faute d'une réelle volonté politique, le projet de création des sociétés régionales n'est pas entrepris. La majorité politique issue des élections législatives de 1986 l'enterre définitivement, après avoir envisagé un temps la privatisation de la chaîne. La décentralisation écartée, l'accent est à nouveau mis sur les programmes nationaux pour affirmer la chaîne dans un environnement de plus en plus concurrentiel. Depuis cette orientation n'a pas été vraiment contredite. Néanmoins les cahiers des charges successifs de FR3 puis France 3 continuent à faire figurer la mission de contribuer "à l'expression des principales langues régionales parlées sur le territoire métropolitain" .
Entre 1990 et 1994, selon le CSA, la répartition horaire annuelle des émissions en langues régionales a été la suivante :
Répartition horaire annuelle des émissions en langues régionales dans les programmes de FR3 puis France 3
Sources : Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA)
Langues utilisées 1990 1991 1992 1993 1994
Langue basque 5 h.30' 5 h.15' 28 h. 6 h. 6 h.
Langue provençale 23 h. 22 h.45' 131 h. * 27 h. 20' 20 h. 20'
Langue corse 15 h.28' 17 h. " " * 6 h. 50' 20 h. 28'
Langue bretonne 70 h. 64 h. 52 h. 102 h. 61 h.
Langue catalane et occitane 34 h. 33 h. 34 h. 34 h. 28 h. 40'
Langue alsacienne 87 h.49' 78 h. 59 h. 136 h. 15' 92 h. 20'
Total 235 h.47' 220 h. 304 h. 312 h. 235 h.48'
Evolution en % sur l'année antérieure - 10,6% - 6,7% 38,2% 2,6% -24,4%
(* en 1992, les durées des émissions en langue corse et en provençal ont été confondues)

A la lecture de ce tableau, on constate en premier lieu, les variations qui affectent d'année en année les émissions en langues régionales d'une région à l'autre. Ces variations sont en partie dues à des modifications des données statistiques prises en compte à l'établissement des bilans annuels par les services du CSA. Il est clair par contre que la plus grande inégalité règne entre les langues régionales pratiquées sur le territoire français et qu'aucune considération démographique et encore moins sociolinguistique ne président à la décision et à l'établissement des grilles de programmes de la chaîne.
L’insuffisance d'audience est souvent opposée à ceux qui réclament la création ou l'extension des émissions en langues régionales. Il est dès lors intéressant de se pencher sur ceux dont on dispose et bien que peu de chiffres précis soient disponibles.

L'audience région par région des “émissions dialectales” de FR3 en 1992
Source : documents FR3, baromètre régionalisé, avril-juin 1992

Station régionale/Titre de l'émission Jour et heure de diffusion Pénétration(population 15 ans et plus) Partsde marché
FR3 Aquitaine"Leihoa" + "Viure al païs" Dimanche 12h.00 - 12h.15 0,8% 5,2%
FR3 Midi-Pyrénées / Languedoc-Roussillon"Viure al païs" Dimanche 12h.00 - 12h.45 2,8% 14,5%
FR3 Alsace"Rund-Um" Lundi-Vendredi 19h.00 - 19h.15 11% 38,2%
FR3 Bretagne-Pays de Loire"An Taol Lagad" Lundi-Vendredi 12h.00 - 12h.15"Chadenn ar vro" Samedi 13h.00 - 14h.00 1,0%0,5% 5,8%2,1%
FR3 Provence-Alpes-Côte d'Azur"Vaquí" Samedi 12h.00 - 12h.30 3,3% 20,1%

Ce tableau témoigne de l'existence de publics pour les programmes en langues régionales, plus ou moins important sans doute, mais qui dans la concurrence avec les autres chaînes peuvent acquérir des parts de marché honorables sinon conséquentes. Au-delà de cette constatation, il n'est pas possible de comparer les chiffres entre eux, les différences de programmes et des horaires ou jours de programmation d'une station à l'autre l'interdisent. De plus, il n'apparaît pas pertinent de mesurer l'audience des émissions en langue régionale sur la totalité des zones sur lesquelles s'exercent leurs diffusions, alors que les émissions ne concernent elles mêmes en priorité qu'une partie de la zone où la langue est pratiquée. Tel était le cas par exemple du magazine basque en Aquitaine ou des émissions en breton.

L'attitude du service public de la radiotélévision française envers la régionalisation et les langues régionales se caractérise donc par une grande prudence et par des émissions rares avant les années 80. Elles se développent sans doute par la suite mais restent toutefois limitées et les politiques menées sur ces deux points demeurent sans comparaison avec les réalisations effectives en Espagne ou Grande-Bretagne pour citer deux pays voisins. Ces politiques ne peuvent se dissocier d'attitudes et de conceptions plus générales qui concernent tant l'audiovisuel lui-même que l'Etat-nation dans lequel il s’inscrit.
La notion de service public, par ses origines, recouvre diverses significations : institutionnelle, juridique et idéologique qui supposent chacune des acceptations ou interprétations polysémiques . En France institutionnellement, la perception de service public s'est confondue après guerre avec la conception du monopole d'Etat, excluant toute concurrence et se greffant elle même sur une notion politique centraliste et quasi monarchique de la radiotélévision qui s'exprimera encore en 1972 dans la qualification "la voix de la France" spécifiant l'ORTF . Par ailleurs, à l'instar de ce qui se passe dans la plupart des pays ouest européens, les lignes directrices de l'organisation du système de télévision français se basent sur des logiques publiques et unitaires s'inscrivant dans le cadre de l'Etat-nation. Les programmes sont conçus à partir d'une idéologie porteuse de projets volontaristes, culturels, pédagogiques, laïques et au bout du compte unificateurs dans leur célébration du "grand-public" . Partant souvent d'options généreuses et de visions incluant l'intérêt général ou collectif, l'action des pionniers de la télévision française, techniciens et réalisateurs, n'est pas sans évoquer à plusieurs égards le souvenir des "hussards de la République" de Jules Ferry. Leurs conceptions de l'audiovisuel français s'imposent jusqu'aux années 70. Leur remplacement progressif par des gestionnaires et la décentralisation, consentie comme réponse à la contestation du monopole de service public modifient contradictoirement ces orientations initiales. La dérégulation des années 80 et l'ouverture d'un vaste secteur privé de l'audiovisuel changent à l'évidence les données de la question en ouvrant des potentialités à d'autres expressions que celles jusqu'alors autorisées. Des axes transnationaux ou infra-nationaux se substituent aux précédents et transgressent les frontières nationales mais en même temps les logiques d'ordre privées et commerciales deviennent dominantes. Leurs effets peuvent rencontrer et poursuivre ceux des politiques antérieurs et en rien ne les infléchir.


1.3 - Les radios locales privées

Les premiers éléments dérégulateurs du système audiovisuel français furent les radios libres apparues entre 1975 et 1977. Elles sont le fruit de motivations nombreuses et contradictoires, elles se nourrissent notamment d'une conjonction entre la revendication régionale et celle d'une liberté d'expression élargie. Si elles s'appuyaient sur la renaissance des cultures régionales, comme le fait remarquer Patrice Flichy, on ne doit sans doute pas pour autant survaloriser ce facteur comme élément déterminant d'explication de leur émergence. Les radios libres des années 70 sont des radios locales, en partie parce que la technologie qu'elles emploient les y contraint. L'usage de la modulation de fréquence leur imposant une zone de diffusion forcément limitée. Par ailleurs en se saisissant du thème du local, les radios libres se forgeaient un argument d'attaque contre le monopole. En se définissant ainsi elles se présentaient comme complémentaires de la radio d'Etat et non comme leurs concurrentes directes . Les attaques contre les professionnels des médias, le professionnalisme en général ou bien la communication publicitaire pouvait de la même façon, pour une partie des promoteurs de ce mouvement, revêtir un caractère d'arguments opportunistes. C'est donc sans surprise qu'il faut observer l'évolution postérieure de la majeure partie des radios locales privées légalisées qui succèdent aux radios libres. La marginalisation des espoirs militants initiaux au profit d'une évolution commerciale accélérée s'inscrivant dans des cadres nationaux voire internationaux contrastent vivement avec les revendications, sinon les utopies d'hier.
Néanmoins la place occupée dorénavant par les réseaux radiophoniques privés, associés dans quelques grands groupes industriels de communication aux acteurs traditionnels de la radiodiffusion privée française, ne doit pas masquer la permanence d'un secteur privé authentiquement local dans lequel on trouve les réalisations les plus avancées concernant les langues régionales. C'est en effet parmi les quelques 500 radios associatives locales que l'on observe de nombreuses et conséquentes actions effectives en ce sens. C'est l'un des principaux mérites des réformes introduites depuis 1981 dans l'audiovisuel français. La fin du monopole a permis la réalisation de projets d'information et de communication sociale communautaires à différents niveaux, du quartier ou du groupe social particulier jusqu'à la région. Des services radiophoniques dédiant une part de leurs activités radiophoniques aux langues et cultures minoritaires, ou bien même leur étant entièrement consacrées, ont pu voir le jour et perdurer. Ainsi, comme le fait remarquer Pascal Ricaud, "l'Etat français en permettant la création de nombreuses radios associatives en langue régionale, dès le début des années 80, a largement répondu [par avance] aux attentes de la Charte européenne des langues minoritaires" et ce malgré son refus de ratifier ce texte qui engage les parties à : "encourager et/ou à faciliter la création d'au moins une station de radio dans les langues régionales minoritaires; ou à encourager et/ou à faciliter l'émission de programmes de radio dans les langues régionales minoritaires, de façon régulière" .
Le même document stipulait que les parties étaient appelées "à couvrir les coûts supplémentaires des médias employant les langues régionales ou minoritaires, lorsque la loi prévoit une assistance financière, en général, pour les médias; ou à étendre les mesures existantes d'assistance financière aux productions audiovisuelles en langues régionales ou minoritaires" . De fait, là aussi, cette clause est satisfaite. Le mécanisme existant d'aide aux radios locales associatives françaises inclut une disposition de ce type. Le fonds de soutien à l'expression radiophonique (FSER), qui finance en bonne part les radios associatives non commerciales, institue une aide générale offerte à toutes les stations qui répondent aux critères nécessaires, mais à une base proportionnellement équivalente pour toutes s'ajoute une aide spécifique en fonction de l'intérêt de la radio et de sa programmation. Jusqu'à présent la réalisation d'émissions en langues régionales fut un élément favorable dans l'attribution de cette aide supplémentaire .
Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel affiche quant à lui, et depuis sa création, des dispositions favorables aux radios locales associatives en général et en particulier à celles qui se préoccupent des cultures régionales. Pour preuve de cette inclination, on prendra l'exemple des suites données par le CSA aux exigences législatives nouvelles, datant de 1994, concernant la diffusion obligatoire d'un quota de 40% de chansons françaises . Une telle obligation interprétée au sens strict pouvait fortement contrarier la programmation des radios diffusant essentiellement des compositions en langues régionales. Le CSA chargé de négocier avec les radios autorisées les avenants nécessaires à leurs cahiers des charges a précisé que l'on entendait "par chanson d'expression française, toute chanson interprétée en français ou dans une langue régionale française". Il y a bien là une tolérance qui tient d'ailleurs compte du fait de toutes les difficultés qu'aurait l'instance parisienne de régulation si elle devait faire respecter des règles plus strictes .
Cet élargissement de l'esprit de la loi peut entraîner des situations tout de même surprenantes. Dans le cas des radios basques par exemple, elles sont admises à décompter dans leurs quotas de chansons françaises des oeuvres interprétées en basque mais qui peuvent être en fait des productions de formations de nationalité espagnole, enregistrées de l'autre côté des Pyrénées. En Catalogne ou en Alsace des situations similaires sont également appelées à se produire.

A travers l'exemple aquitain, on peut constater l'ouverture et l'éventail de possibilités que présente l'existence des radios locales privées pour les langues minoritaires. Leur autorisation, les dispositifs d'aide dont elles bénéficient, ceux précédemment évoqués ou ceux émanant des collectivités locales (quand ils existent et mêmes s'ils sont souvent jugés insuffisants) témoignent d'une reconnaissance et d'une normalisation d'elles mêmes, de leurs programmes et de ce qui leur sert de codes de communication : les langues employées. On peut considérer qu'ici la radio joue un rôle essentiel et privilégié par rapport aux autres médias. C'est d'ailleurs une des conclusions à laquelle a abouti Pierre Musso, au terme d'une vaste enquête réalisée pour le Conseil de l'Europe à travers le Québec et 18 régions d'Europe (dont la Bretagne et le Pays basque espagnol) visitées en 1992 et 1993. Si l'étude portait plus particulièrement sur la presse écrite et la télévision, il n'en écrit pas moins : "Mais c'est encore la radio, par sa souplesse, qui reste le support privilégié de communication pour les minorités : par exemple, au Canada, elle permet de couvrir l'ensemble des communautés amérindiennes. [...] La presse comme la télévision semblent coûter trop cher par le poids de leurs frais fixes pour les minorités : la radio locale est le média idéal pour les minorités, avec l'avantage de la proximité régionale, de l'échange en direct et de la langue [...]" .
Ce constat que ne peuvent qu'approuver ceux qui observent le travail effectué par les radios locales en France mais aussi de par le monde , doit néanmoins être tempéré. Les atouts des radios locales peuvent être contrebalancés par d'autres considérations limitatives quant à leurs apports. Média souple, peu coûteux par comparaison, immédiat et de proximité, désacralisé par sa multiplication depuis 1981, il présente pour ces mêmes raisons un déficit symbolique. Il n'a pas ou n'a plus l'aura, le prestige de la télévision et celui que conserve l'écrit. La radio ne joue plus le rôle qu’évoquait Pierre-Jakez Hélias. De plus, si la radio fait entrer les langues régionales dans une modernité médiatique, en même temps elle leur confère ou conserve un caractère d'oralité stigmatisant opposé de longue date aux langues minoritaires.
Il faut avoir conscience de ces limites qui ne sont bien sûr pas absolues et n'empêchent pas d'apprécier l'oeuvre accomplie par les acteurs radiophoniques privés et alors que la place consentie aux langues minoritaires par les télévisions locales privées françaises demeure restreinte.


1.4 - Les télévisions locales

De la même façon que le système radiophonique connaît une ample dérégulation au début des années 80, la télévision française est affectée quelques années plus tard de transformations profondes. Sans atteindre quantitativement les niveaux de la radiodiffusion, l'offre de programmes et le nombre de structures sont augmentés et diversifiés À côté des chaînes de télévisions publiques nationales maintenues ou nouvellement créées apparaît un secteur privé. Celui-ci n’est pas majoritairement local. En effet si le thème des télévisions locales a partiellement servi de cheval de Troie à la pénétration des intérêts privés dans le domaine de la télévision, elles n’ont que dans de rares circonstances franchi les barrières économiques défavorisant leur création et plus encore menaçant leur pérennité. Qu’elle soit diffusée sur un réseau câblé ou bien plus traditionnellement par moyens hertziens, la télévision locale est beaucoup plus onéreuse qu’un service local de radiodiffusion et les télévisions locales de plein exercice sont rares aujourd’hui en France comme d’ailleurs en Europe. Ainsi que le souligne Miquel De Moragas Spa, la multiplication des chaînes n’implique pas forcément un grand changement dans la distribution des contenus et des genres télévisuels quand : “les télévisions régionales, en contradiction avec les grandes possibilités technologiques, continuent d’être exceptionnelles ou marginales dans la plupart des États européens . En 1990, il constatait que les télévisions ayant de pleines compétences régionales étaient exceptionnelles dans les régions européennes. Excepté l’Allemagne, mais pour des raisons particulières, les seuls pays où l’on trouvait des télévisions de ce type était en Espagne, celles des communautés autonomes; au Royaume Uni, les chaînes du réseau Chanel Four et en particulier celle du Pays de Galles; en Belgique enfin avec la différenciation linguistique des télévisions francophone et flamande.
En 1995, la situation n’a guère été modifiée, les occasions d’expressions des cultures régionales et des langues moins répandues s’en voient réduites d’autant. En France, la CNCL puis le CSA qui ont eu en charge l’autorisation des télévisions locales ont eu tendance à privilégier les projets reposant sur bassins de population porteurs économiquement plutôt que des télévisions locales de pays. Des exceptions existent pourtant. Aquí TV en Dordogne peut figurer l’une d’elles. Par ailleurs, aucune communauté linguistique n’a été en mesure de présenter un projet convainquant de télévision locale ou régionale reposant intégralement ou pour bonne part sur l’utilisation d’une langue autre que le français, que se soit avec ou sans l’aide des collectivités locales.
A côté des télévisions privées, en France, le service public n’est pas resté tout à fait inactif. Face à la menace, encore potentielle plus que réelle, des télévisions locales privées, France 3 a développé une politique de localisation de ses stations régionales à travers des journaux d’information de proximité. Limités dans le temps à quelques minutes d’émissions quotidiennes, ces décrochages peuvent néanmoins s’ouvrir aux langues régionales. C’est le cas en Aquitaine du décrochage réalisé en Pays Basque depuis 1992, baptisé France 3 Euskal Herri.

La modification de l’offre de programmes de télévision passe aussi par l’internationalisation, quand les réseaux câblés et l’installation d’antennes paraboliques ouvrent les marché nationaux aux programmes étrangers. Dans des circonstances bien particulières, ce qui pourrait apparaître au premier abord comme une menace de la diversité culturelle, se traduit favorablement pour certaines cultures et langues régionales de quelques régions frontalières. Le Pays Basque encore ou la Catalogne se situent dans cette catégorie. Les régions françaises peuvent dans une certaine mesure bénéficier des statuts acquis par les langues communes dans les “régions-soeurs” de l’État espagnol voisin .


2. RADIOTÉLÉVISION ET LANGUES REGIONALES EN AQUITAINE.

Après avoir posé le cadre général français dans lequel s'inscrit l'usage audiovisuel des langues régionales, nous observerons quels purent être et quels sont les usages de l'occitan et du basque sur les chaînes de radio et de télévision publiques et privées en Aquitaine .

2.1 - Les réalisations du service public

Après la seconde guerre mondiale, la radio régionale en Aquitaine, inclue désormais dans le service public français unique, réapparaît sous les noms de Bordeaux Lafayette, puis de Bordeaux-Aquitaine en 1960 et enfin de FR3 Aquitaine Radio à partir de 1975. La station régionale s'entrouvre à l'occitan et au basque à travers des décrochages locaux en ondes moyennes.
A compter de l'été 1961, le studio radio de Bayonne diffuse une série d'émissions baptisées "Radio Côte Basque". Radio d'été, radio de vacances, elle n'est à l'origine diffusée que deux jours par semaine, le jeudi de 8 heures 30 à 9 heures et le dimanche de 9 à 11 heures et de façon saisonnière. En 1963, l'équipe locale de la RTF devient permanente. L'émission passe à un rythme quotidien en avril 1968. Sa nouvelle durée est de quinze minutes diffusées entre 7 heures 45 et 8 heures, un tiers de l'émission est en langue basque. Un abondant courrier s'en suit et si 10% de ces lettres constituent des protestations (plus peinées à vrai dire de la brièveté de l'émission en français que de la présence de la langue basque), 70% apportent remerciements et félicitations, tandis que les 20% restant présentent des suggestions . Le Béarn bénéficie également d'un décrochage en ondes moyennes pour des émissions en occitan d'une durée et d'un contenu variables au fil des ans .
La décentralisation de la radiodiffusion publique commence en Aquitaine en 1982 avec Radio France Périgord, suivie en 1983 de Radio France Landes et Radio France Bordeaux Gironde issue de la récupération et de la transformation par Radio France de FR3 Aquitaine Radio. En 1985, une radio bicéphale, mais ayant une ossature commune, naît dans les Pyrénées-Atlantiques : Radio France Pays Basque et Radio France Pau Béarn.
Située dans la métropole d'Aquitaine, Radio France Bordeaux Gironde n'a consacré et ne consacre aucune place à l'occitan sur ses ondes sinon de manière tout à fait épisodique et exceptionnelle. La seule entorse prolongée que l'on puisse évoquer à cet égard est la diffusion sous les auspices de Guy Suire, au milieu des années 80, d'une émission hebdomadaire faisant place au "Bordeluche", que l'on peut qualifier de francitan bordelais. "Entre la messe et le Chabrot" a tenu l'antenne une saison, mais cette émission semble depuis longtemps oubliée à la station publique bordelaise qui n'en a pas conservé trace. L'orientation actuelle de la station, positionnée comme radio urbaine au sein du réseau de Radio France, engagée dans une concurrence avec les réseaux musicaux privés, lui interdit certainement de renouveler une telle expérience.
En Dordogne la situation est un peu différente, l'occitan sans être absent des programmes de Radio France Périgord y tient une place réduite depuis sa création. À ses débuts, en effet, Radio Périgord ne diffusait aucune émission à proprement parler occitane. On pouvait sans doute à l'occasion entendre, outre des disques occitans, des éléments de cette langue dans des émissions diffusées quotidiennement mais cela représentait peu de chose au total. On notera que dans ses premières grilles de programme la station empruntait au langage des militants régionalistes occitans des années 70. Une fois par semaine était programmée une émission intitulée "Vivre au pays", mais il s'agissait d'une émission en français présentant un "périgourdin de souche ou d'adoption qui a su trouver une raison et un moyen de vivre au pays". Depuis la situation a évolué. En 1995, aucune émission occitane n'était encore programmée sur Radio France Périgord par contre plusieurs séquences courtes sont présentes. L'occitan trouve une place quotidienne à l'antenne sous forme de chroniques, billets d'humeur (certains réalisés en rap occitan par Joan Pau Verdier) et des contes pour un total de dix à douze minutes par jour. Ces séquences sont réalisées par des intervenants extérieurs à la station. Radio France Périgord compte deux personnes capables d'intervenir en occitan à l'antenne mais aucun journaliste parmi eux

2.1.1 • l'exemple de Radio France Landes...

C'est un peu l'évolution inverse qu'a connu Radio France Landes. Les émissions en occitan y ont acquis une place importante avant de se résorber et de disparaître. Quand cette station fut créée, en 1983, à l'initiative de Le Naveth Esquirous des pétitions circulèrent exigeant cinq heures quotidiennes d'émissions en occitan. Un millier de signatures fut rassemblé dans le département sans que les signataires n'aient pu obtenir gain de cause et à l'origine aucune émission spécifiquement gasconne n'était non plus prévue sur Radio Landes, la "sensibilité gasconne" n'était comprise qu'en terme de musique et si une émission intitulée "Nous parlons et nous chantons Gascon" était programmée, elle était réalisée en français. Les dirigeants de la station affirmaient pourtant leur intention de "ne pas enfermer la station dans un ghetto et de permettre à tout un chacun d'intervenir en gascon sur les ondes". A la suite du maintien d'une demande en ce sens, une émission hebdomadaire de 3 heures fut créée le dimanche soir. Il s'agissait cette fois de "Parlam et cantam gascon", mais l'animateur pressenti ne disposait que d’une compétence linguistique limitée. A cette époque un seul journaliste de la station était en mesure de parler gascon. Ses dirigeants invoquaient ce fait pour repousser l'idée de la réalisation de bulletins d'information occitans. Il serait impossible, disaient-ils, d'assurer la continuité du programme lors des jours de repos et congés de ce seul journaliste.
Le véritable départ des émissions occitanes date du 7 août 1983, animées cette fois par une animatrice expressément recrutée à cette fin : Jocelyne Randé. Trois rendez-vous gascons furent mis en place . Au sein des émissions du petit matin, de 6 heures à 8 heures 30, qui débutaient par la diffusion de l'hymne gascon, un jeu était organisé. Il s'agissait de reconstituer un proverbe gascon dont le début avait été énoncé par l'animatrice. Ce jeu était l'occasion à des interventions en direct à l'antenne, en gascon le plus souvent. Le deuxième rendez-vous se situait le jeudi soir de 19 h.20 à 20 h.. Là encore des jeux servaient de prétexte à l'usage du gascon, en direct, dans des échanges entre l'animatrice et ses auditeurs qui étaient cette fois des enfants. En suivant, une deuxième partie était réservée à des reportages. Enfin l'émission se terminait par de nouvelles conversations téléphoniques avec ceux qui souhaitaient connaître l'origine de leurs noms de famille.
Mais la grande émission en occitan de Radio France Landes fut : "Serada gascona". Cette soirée gasconne a été créée le 7 août 1985. Diffusée à l'origine de 20 h. à 22 h. le dimanche soir, elle se composait de diverses séquences. Ouverte par un disque de musique traditionnelle occitane et par un conte, une histoire tirée du fonds discographique ou collectée par l'animatrice, l'émission se poursuivait par "Navers gasconas", le bulletin d'information hebdomadaire en langue gasconne. L’actualité culturelle y tenait une bonne place (édition de librairie ou discographique, concerts, veillées à venir...). Ensuite, l'émission se déroulait en présence d'invités, parfois en direct, parfois en différé, ce qui nécessitait alors un travail de montage. Cette émission a pu être présentée comme "l'un des plus grands rendez-vous de Radio France Landes" dans les documents promotionnels de la station. On pourra toutefois remarquer qu'elle était placée à un jour et à une heure de grande écoute de la télévision ce qui risquait fort d'amputer son public.
L'évolution des émissions en langue occitane de Radio France Landes s'est traduit par une réduction du champ horaire accordé au gascon. Tout d'abord, l'émission du jeudi soir à été supprimée avec l'adoption d'une nouvelle grille de programme à l'hiver 1985, en même temps d'ailleurs que toutes les soirées thématiques de la semaine et ce en conformité avec les nouvelles dispositions centrales engagées par le réseau Radio France déjà évoquées. En septembre 1986, à la séquence gasconne du matin, s'est substituée une chronique en occitan d'une durée de 2 minutes diffusée à 6 h. 20. Quant à la soirée gasconne dominicale ses horaires furent modifiés. A partir de la grille d'hiver 1985, l'émission débute à 19 heures 20 et se termine à 22 heures. Après le 1° janvier 1987, l'émission prend fin à 21 heures 30.
Un responsable des programmes de la station justifiait les diminutions horaires de la place laissée à l'occitan par des études menées auprès des auditeurs et qui montraient selon lui leur indifférence par rapport à leur amoindrissement. "Des statistiques ont été faites, et bien que de nombreux landais parlent le patois, peu ont été choqués de voir disparaître les émissions consacrées au gascon. Ce n'est pas comme en Bretagne, en Alsace ou en Corse, où l'aspect identité culturelle et linguistique est beaucoup plus important" . Pour autant selon lui, les émissions subsistantes ont évolué, perdant le caractère folklorique traditionnel, voire désuet, qu'elles pouvaient avoir au départ pour se tourner vers des activités plus vivantes et rendre compte de l'usage moderne de la langue.
En 1993, l'émission hebdomadaire a été déplacée et modifiée. Devenue mensuelle puis bimensuelle, elle était diffusée en différé le samedi entre 17 h. 30 et 19 h. 30. Réalisée par Christophe Garnier et José Bats, le premier étant occitanophone, le second bénéficiant d'une certaine compétence en la matière, elle était à cette époque conçue comme une veillée, enregistrée durant une soirée dans un petit village du département. C'était une émission bilingue, en moyenne aux deux tiers en occitan . L'occitan trouvait un autre créneau, moins formel, par la diffusion dans le cours de l'animation quotidienne, d'histoires drôles, d'anecdotes en gascon : "les gascounnettes".
Cette émission et ces séquences ont disparu en septembre 1995 à l'occasion du départ de Christophe Garnier et de la mise en place d'une nouvelle grille de programme. Myriam Olivier, directrice des programmes de la station, affirme à son tour, que ces suppressions n'ont soulevé aucune protestation, aucun courrier. Elle explique que ne disposant plus de personnel compétent en occitan, elle n'envisage pas la reconduction d'une émission dans cette langue et admet qu'elle ne fait pas de recherche, ni de démarche particulière en ce sens. L'occitan n'est pas proprement banni de l'antenne mais sa présence est liée aux hasards d'une rencontre avec un locuteur gascon lors des émissions de proximité.

2.1.2 • ... et celui de Radio France Pays Basque.

Radio France Pays Basque et Radio France Pau Béarn constitue une station bicéphale qui doit s'adresser à deux populations proches mais différentes : les Basques et les Béarnais. La programmation des deux stations est majoritairement commune, et réalisée à partir de Bayonne. Mais une équipe située à Pau effectue des décrochages et réalise des programmes spécifiques notamment d'information.
Au départ Radio France Pays Basque avait choisi de mélanger le basque à la programmation générale en français. C'était le cas notamment le matin lors de la tranche d'information de 6 heures à 8 heures 30. Selon Pierre-Jean Ferrer, le directeur des programmes en 1987, un disque sur quatre était obligatoirement basque et environ 30 % de l'animation était faite en basque. De plus de 13 heures à 14 heures, du lundi au vendredi, un magazine et des informations entièrement en basque étaient réalisés. Ce programme ne s’intégrait toutefois pas dans les émissions régulières en modulation de fréquence, mais était diffusé en ondes moyennes, ce qui représentait une contrainte pour les auditeurs obligés de passer spécialement sur une gamme d'ondes qui n'était déjà plus couramment utilisée. Yves Laplume, directeur de la station, déclarait en 1987 à propos des émissions en basque que "ce type d'émission est évidemment essentiel. C'est d'ailleurs une des fonctions du service public que de maintenir une présence linguistique en région et ce quel que soit le nombre d'auditeurs" . Dans le même temps, pour répondre aux critiques protestant contre la relative faiblesse des émissions en Basque, il avançait l'argument de la faible audience drainée par de tels programmes et ajoutait qu'il était de toute façon possible de faire la promotion d'une culture dans une autre langue que celle de cette culture donnant pour exemple des émissions de Radio France Pays Basque consacrées à la culture basque mais qui étaient réalisées en français. A cette époque, on notait pour preuve de l'intérêt de Radio France Pays Basque et de sa direction pour la langue basque, l'invitation qui était faite chaque semaine à l'ensemble du personnel à participer à une séance de sensibilisation au Basque .
En 1994-1995, la place du basque sur Radio France Pays Basque est la suivante : Chaque jour, du lundi au vendredi, à 13 heures 30, la radio propose un magazine et un journal en langue basque d'une durée de 45 minutes. Ce magazine existe depuis 1988, il est diffusé au sein des programmes en modulation de fréquence et a remplacé le magazine en ondes moyennes. De plus à trois reprises, le matin, les titres des informations locales sont donnés en basque avant d'être développés en français. Plus tard dans la matinée, à 9 heures 30, une séquence de 2 minutes baptisée "Radio sans frontière", donne en basque un agenda de l'actualité locale (culturelle, sportive, sociale...). Il est réalisé en direction des auditeurs basques espagnols .
Pour sa part la station jumelle Radio France Pau Béarn est restée très en retrait sur le chapitre de l'occitan. Jusqu’au début des années 90, elle a consacré une heure hebdomadaire à un magazine en béarnais mais depuis sa suspension la langue ne trouve plus aucun créneau alors même que les moyens de l’antenne se sont accrus lors des dernières années et que son volume propre de programmation a augmenté. A la station, M. Cadoux, rédacteur en chef, déclare : "Nous on ne fait pas de ghetto, on s'adresse à tout le monde, il faut que tout le monde comprenne [...] on ne fait plus d'émission..., à part les sports. Toute la journée c'est un fil commun il n'y a plus d'émission spécialisée pour une certaine catégorie de gens" . Comme ses collègues de Radio France Landes, il ajoute que les critiques ou bien mêmes les retours furent très peu nombreux lors de la suppression du magazine béarnais.
Ainsi à travers ces 5 stations de Radio France, on observe les attitudes différentes des radios de services publics par rapport aux langues régionales d'Aquitaine. Ces dispositions vont de l'ignorance quasi-totale, initiale et confirmée de Radio France Bordeaux Gironde à l'utilisation régulière et constante, bien que variable en volume, pour Radio France Pays Basque. Entre ces deux exemples, on remarque les cas de figure d'une part de Radio France Landes ou de Radio France Pau Béarn où l'occitan avait atteint un niveau très inégal mais qui a dans les deux cas aujourd'hui disparu et d'autre part celui de Radio France Périgord pour qui l'usage de la langue n'est pas banni mais qui s'en sert plus comme une illustration, une coloration, une marque d'ancrage local que comme d'une composante naturelle.

2.1.3 • Basque et occitan sur la télévision publique en Aquitaine .

L'histoire de la télévision dans le sud ouest de la France, est relativement récente puisqu'elle s'ouvre par l'inauguration de l'émetteur de Bouillac, dans la banlieue bordelaise, le samedi 14 décembre 1957. La télévision est reçue par les premiers téléspectateurs à cette date, mais il faut attendre encore quelques années pour qu'elle étende sa zone de couverture, qu'elle se vulgarise et que des images soient produites puis des émissions réalisées en Aquitaine et encore plus longtemps pour que les langues régionales y trouvent droit de cité. A partir du 22 janvier 1962 commencent les premières émissions propres de la station bordelaise baptisées alors Bordaux-Aquitaine. Elles sont diffusées en décrochage du programme national. A partir du 5 décembre 1963, ce sont les débuts du journal régional quotidien du soir réalisé en collaboration avec Toulouse jusqu'en janvier 1966. En janvier 1975, la station régionale de télévision de Bordeaux adoptait officiellement le nom de FR3 Aquitaine.

La création de la première émission permanente en langue régionale en Aquitaine, le magazine télévisé basque, remonte à 1971. A partir de l'expérience radiophonique s'était développée l'idée d'une émission télévisée en langue basque. Sa mise en oeuvre découle directement des décisions annoncées par Jacques Chaban-Delmas en 1970. Le lancement de l'émission suppose des études préalables et des moyens nouveaux pour la télévision régionale. Elle nécessite le recrutement de quatre personnes (des techniciens) tandis que la présentation et la responsabilité de l'émission sont confiées à Maïté Barnetche, qui déjà employée à l'office à mi-temps, dirigeait les émissions radiophoniques en basque. Le Professeur Jean Haritschellar est appelé à assurer la responsabilité morale de l'initiative. Dans un rapport préliminaire publié en septembre 1970, on prévoit outre les rubriques générales, de donner une place particulière aux sports comme la pelote basque ou les jeux de force ainsi qu'au théâtre en langue basque. Maïté Barnetche déclare qu'il s'agira d'un instrument de "l'expression vivante de la culture du peuple basque" et que d'autre part le programme assurera "une certaine promotion de la langue basque aux yeux de tous ceux qui ne lui accordent aucune ou peu d'importance" . La première émission est diffusée le 4 octobre 1971. Elle est en grande partie consacrée à un célèbre "bertsulari", Mattin rencontré dans sa ferme labourdine, il est qualifié d'authentique "mainteneur de la langue et du terroir".
La première série d'émissions est programmée à un rythme bimensuel, les premiers et deuxièmes lundis de chaque mois, sur le canal de la deuxième chaîne de télévision de 13 heures 30 à 13 heures 45. On se plaît à préciser qu'il s'agit à cette date d'une première mondiale en matière de télévision basque et qu'elle devance des réalisations en Espagne ou en Amérique. L'émission dure quinze minutes. C'est peu pour certains, mais le magazine Hérria ne boude pas son plaisir et affiche sa satisfaction de voir sa langue accéder au petit écran citant au passage un dicton basque "ne refusez pas le peu, car y goûter est déjà bon" . Et de conclure : "Enfin, à droite et à gauche, malgré toutes les entraves, l'on dirait qu'un vent nouveau souffle en faveur de la langue basque. Ne nous faisons pas d'illusions, le ciel basque reste nuageux, et il y a même des nuages bien noirs. Mais entre ces nuages, ne voit-on pas une petite lumière ? Ne nous faisons pas d'illusions non, mais ne désespérons pas non plus..."
Par la suite l'émission basque va connaître des formes diverses mais elle va se maintenir jusqu'en 1992, la disparition de Maïté Barnetche en 1986 marquant toutefois une rupture dans son histoire. En 1975, sa programmation est fixée en fin de semaine. Elle est diffusée le premier et troisième samedi de chaque mois de 12 h. 15 à 12 h. 30 sur les canaux de TF1 et Antenne 2 en décrochage de leurs propres programmes. Comparée à l'activité annuelle de FR3 Aquitaine, l'émission représente 4% de la production totale de la station régionale .
En 1978, l'émission basque gardait la même périodicité, mais était quelque peu allongée, passant d'un quart d'heure à 25 minutes en étant diffusée le samedi de 12 h. à 12 heures 25 toujours sur le canal de TF1. L'émission bénéficiait en outre d'une rediffusion le lundi suivant la première diffusion, de 13 heures 05 à 13 heures 25 sur le canal d'Antenne 2. Le dispositif reste le même en 1979, à ceci près que la rediffusion est alors assurée par FR3 elle-même et le jour même de la première diffusion, en fin d'après-midi.
À partir de 1981, sous la direction de Jean Suhas, FR3 Aquitaine s'engage dans des réformes visant à accentuer son caractère régional. Parmi les manifestations concrètes de la décentralisation figure la mise en place d'un comité consultatif des programmes ouvert à des personnalités extérieures (y figure notamment Robert Escarpit). Le 5 mai 1982, a lieu sa première réunion. Dès le premier jour, les débats accordent une place importante à la question de l'espace dévolu aux langues régionales dans les programmes de la station. Mais les discussions achoppent sur l'extension géographique de l'usage de ces langues et en conséquence sur la pertinence d'émissions régionales .
En 1981, l'occitan avait fait une rapide apparition sur l'antenne de FR3 Aquitaine. Le reportage "Montahna de Hér" réalisé par David Grosclaude pouvait être l'amorce d'un magazine régulier en occitan, il n'en fut rien. A ce moment là, une seule et unique émission fut réalisée. Deux ans plus tard, en septembre 1983, l'occitan réapparaissait dans la grille avec "Parlar occitan", une émission hebdomadaire d'un quart d'heure (rediffusée une fois). Le propos était pédagogique et consistait en une initiation à la langue. Sa réalisation fut confiée à des enseignants, en accord et avec le soutien du Rectorat de Bordeaux. En parallèle, une émission pédagogique basque du même type était proposée; tandis que le magazine basque était conservé et adoptait un rythme hebdomadaire. A partir de septembre 1983, les effets de la décentralisation télévisuelle se font sentir. Les créneaux horaires affectés à une programmation régionale augmentent sensiblement passant de 9 heures hebdomadaires à plus de 23 heures de programmes par semaine. Les langues régionales ont bénéficié de cette ouverture. Au total, l'augmentation des programmes en langues régionales est réel et même conséquent mais ne bouleverse pas véritablement l'équilibre de la grille des programmes. En tenant compte des rediffusions, les émissions basques et occitanes représentent en temps environ 7% des programmes hebdomadaires de la station.
Les programmations de ces trois émissions changent de jours et d'horaires dans les mois et les années suivantes. Les rediffusions notamment ne sont plus systématiques, mais elles restent toutes les trois présentes jusqu'en juin 1987. La grille de rentrée, publiée en septembre 1987, ne laisse plus apparaître que le magazine basque, diffusé le dimanche de 12 heures 05 à 12 heures 25. Une émission au nom aux consonances basques apparaît : "Finki". C'est un magazine bimensuel consacré à la pelote basque, mais il est réalisé en français et est diffusé en alternance avec un autre magazine "Toromania", consacré à la tauromachie. En 1987, la durée des émissions régionales, réalisées en propre par FR3 Aquitaine, a été fixée à environ 11 heures par semaine. En 1990, la programmation hebdomadaire régionale est ramenée à 9 heures hebdomadaires, son niveau du début des années 80.
L'émission basque est toutefois maintenue et elle le sera dans les grilles suivantes avec des variantes. Le créneau horaire du dimanche midi est confirmé, mais la périodicité et la durée varient. En septembre 1989, le magazine prend le nom de "Hemendik", il dure 25 minutes est diffusé trois fois par mois. En janvier 1990, la programmation devient bimensuelle.
A la rentrée 1991, l'émission retrouve un rythme hebdomadaire mais est raccourcie dans une nouvelle formule baptisée : "Leihoa” (fenêtre en français). "Leihoa” était un magazine hebdomadaire de 6 minutes 30 en langue basque et tout en images, c'est-à-dire sans aucune séquence enregistrée ou présentée en plateau. Dans sa nouvelle conception, l'émission basque se présentait selon les communiqués de presse de FR3 Aquitaine comme "un magazine résolument tourné vers l'actualité et l'avenir" avec un "style plus rythmé et plus enlevé" qui devait lui permettre "d'appréhender la région basque dans son intégralité et à travers toutes ses dimensions : humaine, géographique, économique et culturelle". L'émission s'articulait en trois parties : une partie magazine qui traitait plus en détails un événement récent particulier retenu pour son importance, une partie actualité présentant en bref les informations de la semaine et une partie agenda annonçant les manifestations culturelles et événements à venir. Avec le recul, "Leihoa" apparaît comme une transition qui prépare la naissance du journal télévisé local de Bayonne, France 3 Euskal Herri - Pays Basque créé le 25 novembre 1992. Cette naissance signifie dans un premier temps la disparition du magazine basque, dont les moyens sont mis à la disposition de France 3 Euskal Herri.
Ce journal quotidien du lundi au vendredi, dure 6 minutes. Il est diffusé à 18 heures 55 et précède le "19-20", le journal télévisé national et régional de France 3. Il est doté d'une structure propre, d'une autonomie de production et de réalisation et n'est diffusé en décrochage des programmes de France que sur le Pays Basque. Administrativement, il n'en demeure pas moins rattaché à la station régionale de Bordeaux. C'est un journal d'actualité, dit Dominique Langard son rédacteur en chef. Sa ligne éditoriale est de couvrir l'actualité du Pays Basque français en privilégiant, un peu par la force des choses, la zone Bayonne-Anglet-Biarritz et la Côte basque, les sujets d’information y étant plus nombreux . Tout en image comme "Leihoa", il présente des sujets courts d'une minute à une minute 10 avec des interviews brefs d'une douzaine de secondes. La majorité des sujets et des interviews sont en français mais en moyenne chaque jour un sujet est réalisé en basque. Dans ce cas, les commentaires et les interventions enregistrées sont sous-titrées en français. C'est encore le principe d'actualité qui guide la réalisation de ce sujet particulier, sans aucun domaine réservé ou confiné, dit-il. L'équipe de France 3 Euskal Herri affirme sa volonté de "sortir la langue et la culture basques de leur ghetto" , même s'il est parfois difficile de trouver des interlocuteurs bascophones hors des domaines traditionnels de la culture et du monde rural. En lieu et place du journal quotidien, le samedi soir, depuis le 15 octobre 1994, a été créée une émission magazine hebdomadaire. Celle-ci occupée par un sujet central, peut être réalisée en basque ou en français .
La présence du basque à l'antenne a été décidée dès l'origine du projet et l'extension de la place qu'il occupe est tout à fait envisageable selon Dominique Langard. Lui-même semble le souhaiter. Le problème auquel il se heurte, précise-t-il, est humain. Sur l'équipe qui réalise le journal (9 permanents et quelques stagiaires, pigistes ou remplaçants), 4 personnes sont bascophones mais un seul est journaliste, Allende Boutin en l'occurrence. C'est lui qui réalise les sujets en basque excepté lorsqu'il est en congé ou absent. Le recrutement d'un deuxième journaliste bascophone est un des objectifs déjà ancien de Dominique Langard mais qui n'a pu être réalisé faute d'un potentiel professionnel suffisant. "La télévision est une écriture très articulée, explique-t-il, et il ne suffit pas de parler basque pour venir faire de la télévision. Il faut aussi être journaliste et en plus journaliste de télévision". Il déplore une carence de formation et regrette que les jeunes bascophones qui le pourraient "ne souhaitent pas partir se former là où il est possible de le faire" pour ensuite exercer leur métier en Pays Basque .
Dans son format actuel, France 3 Euskal Herri a rencontré les faveurs du public. Une enquête d'audience effectuée du 13 au 26 mars 1995 par Médiamétrie créditait ce décrochage local de 50 à 60 000 téléspectateurs et de 60,9% de parts de marché ce qui plaçait Bayonne en tête des expériences de même type produites par France 3 . La présence d'un reportage sur six en basque ne semblait nullement un obstacle à ce succès.
Quant à l'occitan, à l'automne 1991, quand naissait "Leihoa", celui-ci avait retrouvé une place sur FR3 Aquitaine. Suivant le magazine basque, une émission de 6 minutes 30 en occitan était programmée sous le nom de "La Gazetta" puis de "Vuire al país". Dans les deux cas il s'agissait de la reprise partielle de l'émission occitane réalisée par la station FR3 de Toulouse. Rapidement, dès septembre 1992, cette expérience fut suspendue.
Depuis 1992 donc, si on excepte le journal de proximité de Bayonne, la télévision publique régionale en Aquitaine ne diffuse plus d'émission en langues régionales et en particulier plus d'émission en occitan. Si au printemps 1995, des propositions externes mais aussi internes ont été présentées pour créer une émission occitane, aucune n'a suscitée de réponses favorables tant au niveau bordelais que national, ni même de démarches exploratoires.
On lira par ailleurs les commentaires de David Grosclaude sur cette situation. À ses observations, on peut en ajouter au moins une autre. La réticence traditionnelle de la station régionale à diffuser des émissions en langue régionale trouve une explication dans sa nature ancienne et profonde. Installée à Bordeaux, sa circonscription décalquant exactement la région administrative Aquitaine, elle a tendance à reproduire autour de la métropole girondine un certain centralisme. En outre, longtemps la station de télévision bordelaise connut des problèmes de réception sur l'ensemble de sa zone de diffusion, notamment dans les Landes, le Lot et Garonne ou le Béarn, les téléspectateurs de ces zones choisissant alors de se tourner vers FR3 Toulouse. Ces difficultés accentuaient le déséquilibre démographique de la région et de fait la Gironde constituait encore dans les années 80, 50% de l'audience potentielle de FR3 . En dehors même de toute autre tendance au centralisme, cette situation ne pouvait pas ne pas avoir d'influences sur l'orientation générale des programmes et le contenu ponctuel des émissions. La présence ou l'usage de l'occitan étant à l'évidence plus rare dans l'agglomération bordelaise que dans le reste de la région, les responsables de la station rechignent à entrevoir l'utilité stratégique que son utilisation pourrait présenter dans une politique de quête d'audience.

2.2 - Des initiatives privées, innovantes et croisées.
A côté du service public des réalisations privées existent, particulièrement du fait des radios locales associatives et communautaires, celles-ci ne sont pas forcément récentes. Elle sont beaucoup plus exceptionnelles en télévision en raison même de la rareté de ce médias, mais l'exemple de Aquí Tv mérite qu'on s'y arrête, de même que les quelques manifestations de communications transfrontalières observées au Pays Basque français s'appuyant sur son versant ibérique.

2.2.1 • Les radios locales associatives et communautaires
L'emploi des langues régionales sur les radios locales privées associatives en Aquitaine sans être systématique est important. Les expériences sont anciennes et nombreuses mais sont loin d'être équivalentes .
En 1987, nous avions pu recenser en Aquitaine, 20 radios privées qui réservaient de manière plus ou moins brève et plus ou moins régulière un temps d'antenne à l'occitan. En 1993, en réactualisant ce recensement nous avancions les chiffres suivants : au total 25 stations associatives privées en Aquitaine déclaraient accorder une place aux langues à implantation territoriale de la région. L'occitan, sous ses diverses formes, trouvait sa place sur 13 radios, le basque sur 6, tandis que 6 autres stations annonçaient la diffusion d'un temps d'antenne à la fois en basque et en occitan.
Deux ans plus tard, en 1995, les données semblent être identiques sinon équivalentes. Si certaines stations ont disparu ou ont modifié leurs programmes en supprimant ce type d'émissions, d'autres sont venues les remplacer et des zones dépourvues alors d'émissions radiophoniques occitanes peuvent désormais en capter. Tel est le cas par exemple de l'agglomération bordelaise, où RIG, radio associative de Blanquefort diffuse des émissions occitanes reprises en partie de la station béarnaise, Ràdio País.
Certaines radios consacrent la totalité ou presque de leur programmation à l'usage d'une langue régionale, en l'occurrence trois radios basques : Gure Irratia, Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza. Dans un autre cas de figure, les stations peuvent s'affirmer bilingues ainsi que le font : Ràdio País en Béarn et Lapurdi Irratia au Pays Basque. Sur les autres radios enfin, les émissions en langues régionales sont des émissions spécifiques, s'inscrivant dans des créneaux horaires précis et particuliers qui peuvent être plus ou moins étendus et valorisés. Dans ses grilles de programmes 1994 et 1995, Radio Périgueux 103 alloue 3 heures hebdomadaires à l'occitan quand d'autres stations ne diffusent qu'une émission mensuelle.
De la même façon que lors des observations précédentes, c'est encore le département des Pyrénées-Atlantiques qui totalise le plus grand nombre de réalisations, suivi sans doute de la Dordogne, mais c'est dans le premier que se détache les expériences les plus achevées.
En Béarn, en 1983, Ràdio País est née d'expériences plus anciennes auxquelles elle s'opposait ou qu'elle voulait prolonger. Ses créateurs affirmaient que leurs objectifs étaient "la promotion de la langue d'Oc en Béarn et Gascogne par des moyens audiovisuels, la diffusion de programmes spécifiques à destination en premier lieu de la communauté régionale, et, aussi, des communautés avoisinantes, toute réalisation à caractère régional dans le domaine de l'information, de la culture et des loisirs". Ces buts Ràdio País mettra plusieurs années à les réaliser dans leur totalité, si le fonctionnement d'une radio locale bilingue sur Pau et ses environs est rapidement concrétisé, la dimension régionale sera atteinte au début des années 90. En 1993 le CSA accorde à Ràdio País, 3 fréquences supplémentaires à Tarbes, Mirande et Auch dans les départements des Hautes-Pyrénées et du Gers. Elle couvre ainsi quatre "pays" où l'occitan gascon est utilisé : l'Armagnac, la Bigorre, la Chalosse, le Béarn et globalement la moitié sud de la Gascogne. Les réémetteurs ne sont pas que des antennes passives. Leur mise en place s'est appuyée sur des associations locales de soutien à Ràdio País qui sont appelées à produire une partie du programme commun. Par sa seule présence Ràdio País contribue à dessiner une cohérence identitaire et linguistique à cet espace. D'autres extensions sont envisageables vers les Landes, le Lot-et-Garonne, la Gironde ou encore le Val d'Aran en Espagne à travers des collaborations avec des radios existantes ou bien des institutions ou des groupes soucieux de créer des radios locales à son exemple.
La station trouve son équilibre dans la diffusion d'un programme qui se divise en trois catégories : les émissions réalisées en français, les programmes en occitan et enfin les émissions à proprement parler bilingues qui sont les plus nombreuses. Le bilinguisme ne signifie pas ici que les interventions dans l'une ou l'autre langue soient traduites systématiquement mais que les intervenants ont la possibilité de passer du français à l'occitan ou inversement au gré de leur convenance, de leur connaissance linguistique, et ceci sans transition ni dispositif établi par avance. De fait, la proportion occitan/français varie selon les émissions et les présentateurs et bien sûr selon les interventions de personnes extérieures à la radio. Néanmoins l'évolution de la répartition des trois types d'intervention favorise l'occitan qui bénéficie d'une priorité.
En dehors de ce choix initial fondamental, le programme de Ràdio País se veut celui d'une station généraliste s'adressant à tous les publics, "aussi bien le public jeune que le public plus âgé, aussi bien le monde rural que la population urbaine", ce qui lui permet selon ses promoteurs de jouer "un rôle social et culturel indéniablement fédérateur" . Ils poursuivent en décrivant ainsi leur projet : "C'est avec la volonté de faire une radio locale ouverte sur le monde que Ràdio País travaille. Pas de passéisme, mais pas de conformisme non plus dans les programmes. Sur le plan musical, une place importante est faite à toute la musique occitane traditionnelle ou moderne. Mais Ràdio País est aussi sensible à toute la création musicale française, de l'Europe du sud, [...] Une tonalité musicale originale qui laisse aussi une place à la musique classique, au jazz, aux musiques traditionnelles du monde entier et à l'Opéra". De fait, la grille affiche à côté d'émissions traitant des troubadours, des émissions telles que des hit-parades. Ràdio País se définit également comme une radio d'information, qui diffuse quatre journaux parlés quotidien d'information ainsi qu'un magazine hebdomadaire. Depuis longtemps tous ses journalistes sont bilingues. Ce choix est un autre des aspects essentiels de la radio. David Grosclaude, fondateur et journaliste à la station, dit que Ràdio País ne parle pas de langue occitane, elle la parle tout simplement . L'occitan n'est pas réservé à un type d'émissions mais peut être employé pour traiter n'importe quel sujet. Un slogan de la station affirme :"Vu d'ici, le monde est nouveau". Tournée vers l'avenir, la radio se félicite également d'effectuer un travail en matière de collectage et de conservation des traces sonores de la culture béarnaise à travers l'enregistrement et l'archivage de nombreuses oeuvres et témoignages rassemblés en dehors de la radio ou mis en ondes en son sein.
Ràdio País s'inscrit ouvertement dans un projet militant et prosélyte en faveur de la revivification et de la propagation de la langue occitane. Projet qu'elle revendique et où elle s'affirme protagoniste. "Ràdio País est sans aucun doute devenu un élément majeur pour la défense et la promotion de la langue occitane sur la Gascogne Sud" . Le discours radiophonique est conçu comme une action, un acte militant en lui même : "Ràdio País : cada paraula qu'ei ua accion !" et "Ràdio País : lo país que pren la paraula" sont deux autres formules que la radio utilise pour sa promotion . La station était et reste liée au mouvement occitan. Elle participe à l'Ostau Biarnes et collabore avec de nombreux autres organismes occitans auxquels elle accorde des temps d'antenne que ce soit des associations culturelles, des groupes vocaux et musicaux, des écoles et groupes de formation à l'occitan, des organisateurs de manifestations. Ràdio País s'honore de disposer d'un comité de soutien composé de personnalités locales et nationales. Au quotidien, elle s'entoure d'un collectif d'environ 70 bénévoles.
Ràdio País dispose d'une notoriété importante et, au moins sur son bassin initial, le Béarn, elle a trouvé une audience. L'enquête Pratiques et représentations de l’occitan - Pyrénées-Atlantiques commandité par le Conseil général du département et réalisé en septembre 1994 par l'organisme Média Pluriel Méditerranée, l'a confirmé. D'une manière générale cette étude a établi que 30,3% des personnes interrogées écoutent des émissions radiophoniques en occitan. Parmi les radios écoutées, Ràdio País était celle qui était le plus fréquemment citée. Son nom était avancé par 31% des personnes écoutant des émissions en occitan à la radio. Elle était suivie de la Voix du Béarn citées par 21,1% .
Ce succès ou au moins cette reconnaissance ainsi que le vaste réseau de relations auquel elle participe et auquel elle aboutit ne l'empêche pas de connaître des difficultés matérielles. En regard de ses ambitions, la station ne dispose pas de budgets démesurés. Ceux-ci sont alimentés à trois sources principales : les souscriptions (dons et cotisations), les subventions provenant principalement des collectivités locales et du fonds d'aide à l'expression radiophonique, enfin la radio pratique l'autofinancement à travers des activités diversifiées : publicité et parrainages dont les recettes restent très faibles, et surtout la production de livres, de cassettes audio et vidéo. En effet parallèlement au travail radiophonique, Ràdio País développe une action éditoriale littéraire et musicale. Ponctuellement la radio a pu toucher des subventions pour des opérations ou des coopérations particulières des institutions régionales, du Centre Régional des Lettres d'Aquitaine ou encore de France 3 Sud. Entre 1991 et 1993, La Commission des Communautés Européennes (Task Force) a versé plus de 14000 écus (90 000 francs environ au taux de change de 1995) à Ràdio País pour des actions d'édition, de conservation d'archives, de formation ou de soutien au théâtre en occitan. Ceci fut encore insuffisant et en 1994 la station a connu de graves difficultés financières qui ont conduit au licenciement de 3 salariés sur les 5 que comptait la station. Une souscription ayant rapporté 80 000 francs (à partir de 280 donateurs) et grâce au versement de subventions promises par le Conseil général, la situation a pu être rééquilibrée en 1995.
Ceci illustre la faiblesse relative d'une station pourtant ancienne et particulièrement bien implantée dans son milieu. Les conditions d'existences et de travail des radios locales privées associatives restent précaires et sont sans commune mesure avec celles dont disposent les radios locales de service public. Les rémunérations et les perspectives professionnelles y sont généralement faibles. L'investissement prolongé de ceux qui y travaillent relève d'un vrai militantisme, au sens humain ici et non pas idéologique.

Les cas des radios bascophone du département des Pyrénées-Atlantiques méritent eux aussi d'être cités . Gure Irratia ("Notre radio" en basque) à Bayonne, Irulegiko Irratia (Radio Irouléguy) installée en Basse-Navarre et Xiberoko Botza (la Voix de Soule) à Mauléon forment à elles trois une groupe radiophonique assez exemplaire au service dune langue minoritaire, toutes les trois s'expriment en basque pour la totalité ou pour la grande majorité de leur programme par un choix qui est la raison même de leur existence.
Gure Irratia, est née en 1981 à Bayonne, autour du musée basque et d'une association : "Entzun-Ikus" (Voir et Entendre) qui militait pour l'ouverture des médias à la langue basque. Son but initial était la création d'un office public mixte de radiodiffusion basque, associant Radio France, les collectivités locales et les associations. Mais c'est finalement sous la forme d'une radio locale privée classique que Gure Irratia a été fondée.
Elle a été rapidement rejointe par deux autres radios bascophones. L'année suivante apparaissait Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza. La première tire son nom d'une implantation primitive sur la commune viticole d'Irouléguy avant qu'elle ne se déplace en 1989 vers Saint-Jean-Pied-de-Port, toujours en Basse-Navarre. La deuxième quant à elle s'implante dans la capitale de la Soule à Mauléon. De cette façon, les trois radios sont situées sur chacune des trois provinces historiques du Pays Basque français : Labourd, Basse-Navarrre et Soule. Elles disposent chacune d'une personnalité et de conditions d'existence propres.
Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza s'adressent à des zones rurales et de montagne, peu densément peuplées et d'une population plutôt âgée, où la pratique de la langue basque s'est assez bien maintenue. Gure Irratia est située dans la province la plus peuplée, la plus urbanisée, la langue basque y est moins pratiquée. Le profil des radios basques considérées diffèrent. Gure Irratia a une teinte plus urbaine que les deux autres, elle se trouve à la croisée, dit-elle, "du monde basque traditionnel et du monde moderne" . Elle diffuse plus de rock et plus d'interventions provenant du monde économique, culturel, politique. Mais selon ce qui peut apparaître un paradoxe, Gure Irratia est la radio qui consacre le plus de place à la langue basque (à 100% pour la parole, à 80% pour les oeuvres musicales). "Il y a tellement de gens intéressants en ville, indigènes ou de passage, que si nous ouvrions le micro au français, nous deviendrions rapidement une radio bilingue où le basque serait relégué aux sujets secondaires, les sujets importants étant traités en français. [...] Les intervenants possibles francophones sont au moins quatre fois plus nombreux que les bascophones" . A l'inverse, s'adressant à des publics plus largement bascophones, les deux autres radios se permettent de conserver dans leur grille une plus grande place au français. Néanmoins leur couleur d'antenne reste très largement basque à 70% pour Xiberoko Botza ou à 80% pour Irulegiko Irratia.
D'autres différences existent entre la station de la Côte basque et ses deux consoeurs de l'intérieur. La part des émissions agricoles est ainsi par exemple plus large sur Xiberoko Botza et Irulegiko Irratia que sur Gure Irratia, mais aussi les jeux ou les émissions de distraction. En dehors de différences et de spécificités naturelles, à l'instar de Ràdio País, les trois radios peuvent être considérées comme des radios généralistes émettant en direction de l'ensemble de la population bascophone. Gure Irratia affirme s'adresser "à tous les publics, de tout âge et de toute profession" , tandis que Irulegiko Irratia dit attirer les différentes générations par la diversité de ses émissions : "jeux éducatifs pour les plus jeunes, émissions à thèmes musicaux variés (blues, rock, jazz,...) pour les adolescents,... jusqu'aux émissions «mémoire collective», chansons anciennes qui certes font plaisir à tous mais plus particulièrement aux anciens !" A des degrés divers, les trois radios présentent l'ensemble des fonctions des radios classiques : les fonctions d'information, de distraction et d'éducation ou de culture, en plus d'un rôle de communication sociale visant à rassembler les groupes sociaux.
Pour preuve de la réalisation de leurs objectifs, les trois radios produisent de nombreuses lettres de soutien et de témoignages. Ainsi François Dascon, président du syndicat intercantonal du Pays de Soule affirme que Xiberoko Botza est pour les 35 communes regroupées dans son syndicat "un auxiliaire utile et indispensable pour informer, interpeller et faire réfléchir". La présidente de l'association des personnes âgées du canton de Mauléon insiste sur le rôle social et convivial de la même station : "Cette radio émet essentiellement en langue basque, langue pratiquée par une grande majorité des personnes âgées. La continuité de ses émissions, sa spécificité locale, ses animations permanentes et variées (culturelles, économiques, religieuses,...) permettent de casser l'isolement et la solitude que peuvent vivre certaines personnes âgées dans le milieu rural très touché par l'exode" . Irulegiko Irratia dans son rapport d'activité 1994 se félicite de l'arrivée dans son entourage de "très nombreux jeunes qui manifestent leur souci d'oeuvrer bénévolement pour la radio. Des jeunes ruraux, étudiants, salariés ou agriculteurs conscient du nécessaire qui doit être apporté à notre outil de communication". Les programmations musicales des trois stations associent la musique basque traditionnelle à la chanson et au rock basque moderne Les radios basques ne refusent pas des genres d'émissions tel que les hit-parades, c'est assurément une manière pour elles d'attirer les jeunes auditeurs.
Travaillant dans le même esprit, sur des bases associatives similaires, à partir de 1985, plutôt que de se concurrencer, ces stations ont choisi de collaborer et d'unir leurs efforts, tout en conservant leurs propres structures, personnels et programmes. Mais certaines tranches de programmes sont devenues communes. Cette collaboration leur permet, écrivent-elles d'offrir une couverture générale sur l'ensemble du Pays Basque à certaines plages d'information, émissions et plages musicales et de donner de cette manière une diffusion bien plus large à l'information locale, tout en gardant pour chaque radio une approche particulière propre à chaque province plus axée sur la vie locale, répondant ainsi aux besoins socioculturels des auditeurs . D'un point de vue linguistique, elle leur offre aussi l'occasion d'une approche des divers dialectes de la langue basque. La collaboration des trois stations autorise également la réalisation de projets plus ambitieux en matière de formation, de création audiovisuelle, de réalisation d'émissions, de débats et de retransmissions radiophoniques. Elle permet d'assurer avec une meilleure efficacité la promotion du chant et de la musique basque, ainsi que le collectage de la mémoire collective, en élargissant le champ d'investigation et de confrontation des témoins. Enfin, elle crédibilise chacune des stations qui peuvent se présenter vis à vis de divers partenaires institutionnels, comme appartenant à une entité pouvant répondre à des besoins de diffusion d'information sur l'ensemble du Pays Basque.
Concrètement cette collaboration passe par une concertation régulière notamment lors de réunions qui réunissent les représentants des trois radios au siège de l'Institut Culturel Basque à Ustaritz, des actions collectives et bien sûr des émissions communes aux trois stations. C'est environ 10% de la programmation de chacune qui sont occupés par de telles émissions. Parmi elles, le multiplex qui les relie chaque matin de 7h. 30 à 7h. 45 pour un journal d'information local réalisé conjointement est la manifestation la plus anciennes et la plus régulière de leur collaboration. Chaque station y apporte les informations de sa province, l'ensemble formant un bulletin d'information régional. Outre ce multiplex, les trois radios diffusent ensemble des magazines divers, dont l'émission culturelle hebdomadaire "Xurruta" produite à cette fin par Lucien Etxezaharreta, employé de Institut Culturel Basque. Chaque dimanche enfin, elles s'associent pour assurer la retransmission d'une messe en basque enregistrée à tour de rôle dans différentes paroisses. Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza qui s'adressent à un public proche, tant géographiquement que socialement ont initié entre elles une collaboration plus étroite encore. En 1993, environ 40% de leur programmation était commune. Ces collaborations sont un souhait, elles permettent de maintenir une unité de travail et de dynamique entre les stations et aussi d'une certaine manière d'entretenir l'unité du Pays Basque nord. De plus, elles enrichissent la programmation des radios et par là sont un moyen de palier aux difficultés matérielles liées aux moyens modestes de chacune.
En plus de leur coopération commune, les trois radios entretiennent dans une perspective transfrontalière des liens avec des radios basques situées au sud des Pyrénées. Avec Euskal Herri Irratia, ou des radios locales privée espagnole, Xorroxin Irratia, située dans la Vallée de Baztan en Navarre. A l'occasion d'événements particuliers, toutes ces stations ont pu travailler collectivement pour en assurer la couverture à l'attention d'auditeurs basques, Français et Espagnols, par exemple pour la finale des Bertsularis de Navarre et du Pays Basque nord, qui avait lieu à Pampelune en 1992.
Les ressources annuelles des trois radios proviennent pour l'essentiel des subventions que leur octroie l'État (via le FSER qui représente en moyenne 40 à 45% des recettes des radios mais qui connaissent une baisse tendancielle d'une année sur l'autre) et des aides diverses que des associations ou institutions, ou encore des individus sensibilisés à leurs actions, veulent bien leur confier .
Les dons réguliers et exceptionnels des auditeurs constituent une source majeure et originale de financement. Les trois stations ont d'une part mis au point un mode de financement régulier, assez rare. Il s'agit de souscriptions permanentes, ou en quelque sorte d'abonnements d'auditeurs, qui ont accepté que leurs comptes en banque soient débités automatiquement chaque mois au profit des caisses des stations. D'autre part, hors de ces dons réguliers, les radios organisent aussi des souscriptions ponctuelles auprès des auditeurs. Rendez-vous important, ces opérations sont l'occasion de rencontrer leurs public en même temps qu'elles collectent de l'argent. Irulegiko Irratia écrit en 1993 : "Chaque année et pendant deux semaines, la radio organise une campagne de sensibilisation à nos besoins financiers au cours de laquelle nous sollicitons personnellement les auditeurs pour une aide financière et ce contact direct nous permet de connaître leurs goûts, leurs critiques. Cette campagne nécessite la mobilisation de nombreux bénévoles et ce depuis 10 ans" .
Non traduisibles en terme de points d'audience dans des sondages, les souscriptions et les autorisations de virement automatiques démontrent, à l'évidence, un fort attachement de certains auditeurs à leurs stations.
Les moyens financiers dont disposent les radios sont investis dans l'équipement et le fonctionnement, ils servent aussi à salarier des animateurs permanents dont certains sont reconnus comme journalistes détenteurs d'une carte de presse. En 1994, Gure Irratia employait cinq salariés, Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza quatre. Il s'agissait selon les cas de temps plein ou de temps partiel. Certains d'entre eux étaient financés par des Contrats Emploi Solidarité (CES). Dans chacune des stattions, on trouve des salariés titulaires de la carte de journaliste. En 1995, les effectifs salariés des trois radios ont en baisse et traduisent comme pour Ràdio País des difficultés financières, leur professionnalisation est menacée. Néanmoins, les bénévoles relaient le manque de main d'oeuvre salariée. Depuis toujours, ils participent à la vie et à l'animation des stations. En 1995, Gure Irratia situe leur nombre autour de 50 Xiberoko Botza à 32 et Irulegiko Irratia en revendique 80. Cette dernière radio souligne d'ailleurs son attachement au maintien d'une présence d'intervenants bénévoles : "La place du bénévolat a un aspect essentiel dans notre fonctionnement et nous veillons à ce que nos objectifs de professionnalisation accrue n'éteignent pas les initiatives bénévoles" .

Aux trois radios basque précédemment décrite est venu s'ajouter, en 1992, Lapurdi Irratia. Elle présente une triple spécificité : radio confessionnelle catholique, elle est bilingue et diffuse un programme original dans sa conception.
Station nouvelle, Lapurdi Irratia bénéficie de l'expérience d'une équipe déjà investie dans le champ radiophonique. Ceux qui sont à la base du projet sont ceux qui assurent la production de la messe radiophonique dominicale diffusée par les trois autres radios basques déjà évoquées. Lapurdi Irratia a été créée par l'Association pour une Radio de l'Eglise en Pays Basque. Elle reçoit le soutien de l'association diocésaine qui l'héberge dans un de ses établissements scolaires à Ustaritz et qui lui a fourni les fonds nécessaires à son installation et à son équipement. Six ecclésiastiques, dont Mgr Pierre Molères évêque de Bayonne figurent parmi les membres de son conseil d'administration. Elle s'appuie aussi sur les structures paroissiales tant financièrement que pour la réalisation concrète d'émissions. Lapurdi Irratia s'adresse à la partie intérieure de la province basque du Labourd. Le public visé est la communauté catholique de cette zone, une zone située entre la côte urbanisée et le Pays Basque intérieur rural. Son auditoire potentiel est composé de bascophones et de non bascophones et c'est pour offrir aux uns et aux autres un service identique que Lapurdi Irratia a fait le choix d'une expression bilingue. Le bilinguisme se conçoit ici comme la coexistence et l'alternance d'émissions entièrement basques ou entièrement françaises, d'une durée sensiblement égale pour ce qui est du programme matinal. Les après-midi, qui utilisent des émissions provenant d'autres radios chrétienne de France sont composées d'émissions en français .
La troisième particularité de la station est d'avoir donné une forme radiophonique nouvelle à son projet. S'inspirant de la formule inaugurée par France Info, elle propose un programme composé de modules assez brefs multidiffusés. La même émission est rediffusée à des horaires et des jours différents, dans des langues différentes pour satisfaire des populations différenciées par leurs horaires de travail et leurs affinités linguistiques. Un informatisation de la station en 1995 permet une automatisation de la diffusion.
Lapurdi Irratia ne se pose pas en concurrent des autres radios, mais comme complémentaire. "Radio Lapurdi Irratia n'est pas conçue pour un auditeur qui resterait branché en permanence. Elle offre des rendez-vous précis et des services supplémentaires spécifiques à des auditeurs qui par ailleurs restent fidèles à leurs radios habituelles" . D'ailleurs, elle a institué des collaborations et coproductions avec d'autres stations et notamment avec Irulegiko Irratia

Rapidemment présentées, les expéreience de ces cinq radios témoignent de l'originalité de la situation radiophonique privées dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Une situation originale mais aussi fragile, ce dont semble avoir pris la mesure son Conseil général.
Dans son attribution des subventions en 1995, il a distingué trois catégories de radios locales associatives parmi les 13 qu'il souhaitait subventionner : 1°) celles dont l'envergure (budget, nombre de salariés, zone de diffusion et taux d'écoute) reste limitée; 2°) les radios dont la part d'informations et le rôle d'animation semblent incontestables; 3°) les radios dont le rôle essentiel repose sur le développement de l'expression basque ou occitane. Les premières (3 stations) recevront une somme de 10 000 francs, les secondes (au nombre de 6) obtiendront 40 000 francs. Quant aux quatre dernières, elles percevront 80 000 francs. Il s'agit de Gure Irratia, Irulegiko Irratia de Xiberoko Botza et de Ràdio País. La part attribuée à ces 4 stations représente 54% de l'enveloppe totale de ligne budgétaire prévue à cet effet . Cette décisions équivaut à une reconnaissance et à un soutien à l'action de ces radios.
Si elles n'atteignent pas toujours les niveaux souhaités, des politiques publiques locales de soutien aux langues minoritaires se mettent en place à travers l'aide qu'elles apportent au médias qui les utilisent. A l'exemple du département des Pyrénées-Atlantiques qui vient d'être cité peut être comparé celui du département de la Dordogne qui soutient l'expérience de télévision locale d'Aquí TV.

2.2.2 • Aquí TV

Aquí TV fut la première des télévisions locales de pays autorisée en France par le CSA. Son expérience, par sa nature et ses conditions d'implantation et de diffusion, reste encore unique. Aquí TV a été lancée le 15 juin 1991, après une longue gestation de trois ans. Créée dans l'enthousiasme, la chaîne a connu des débuts difficiles. Installée au village de Proissans en Sarladais, elle s'est vite marquée comme une télévision rurale. Si dès 1992 et par la suite l'audience est au rendez-vous, les rentrées publicitaires escomptées s'avèrent insuffisantes, en tous cas pour faire vivre une équipe d'une trentaine de salariés et couvrir un budget prévisionnel, pourtant prudent, évalué initialement à 7 millions de francs par an. Placée en redressement judiciaire, la station a déposé son bilan en 1993, interrompant durant plusieurs semaines ses émissions. La reprise a pu s'effectuer le 8 novembre 1993 grâce à l'arrivée de nouveaux investisseurs privés, à la confirmation d'un soutien financier annuel de 3 millions de francs de la part du Conseil général de la Dordogne et au CSA qui a renouvelé pour 4 ans l'autorisation de la station locale . En 1994, les comptes financiers ont enfin été équilibrés. La chaîne produit 2 heures 30 d'émissions propres quotidiennes, le reste de la grille étant complétée par des programmes extérieurs.
Les promoteurs de Aquí TV ont dès l'origine affiché leur souci d'utiliser l'occitan dans leurs programmes. Parmi les différents objectifs de la chaîne, une de ses missions, écrivaient-ils, "nous paraît être de produire et de diffuser des émissions en langue d'Oc, langue traditionnelle parlée et comprise sur sa zone de couverture et de participer ainsi à la conservation et au développement de celle-ci". Ils ajoutaient : "Si nous ne le faisons pas quelle autre chaîne de télévision que la nôtre le fera" . Le fait de confier la direction de l'antenne à Jean Bonnefon, homme de radio et de culture, musicien du groupe Peiragude, chanteur, conteur et militant de langue occitane confirme ces choix.
L'occitan est donc présent sur Aquí TV depuis sa création, bien que les premières interventions étaient réduites et non spécifiques. Elles n'étaient peut-être pas non plus exemptes de maladresses que l'on peut en partie imputer à la jeunesse de la station et la mise en oeuvre innovante et forcément un peu hasardeuse du format télévisuel local . La place de l'occitan aurait pu être menacée par les difficultés structurelles de la chaîne, mais elle a été depuis au contraire confirmée et même élargie.
En 1995, selon M. Bonnefon, la présence de l'occitan est assurée à plusieurs niveaux. L'occitan trouve une place diffuse mais réelle tout au long des programme de la chaîne et tout d'abord dans les informations. La station compte deux journalistes occitanophones (MM. Bonnefon et Ray) , ce qui leur permet à l'occasion de traiter tel ou tel sujet en occitan, ou de glisser quelques mots en occitan dans un sujet par ailleurs réalisé en français. Cette pratique n'est pas surprenante sans être toutefois régulière, elle participe néanmoins à l'ancrage et à la coloration locale de la chaîne. Par ailleurs l'occitan est présent à travers la couverture des manifestations ayant trait à la langue ou à la culture occitane. Enfin, Jean Bonnefon souligne que la présence de l'occitan est effective à travers le nom même de la station Aquí TV, la télévision d'ici et non pas la télévision d'Aquitaine.
L'occitan trouve un autre espace dans un créneau horaire, distinct et standardisé celui-ci, puisqu'il s'agit d'une émission hebdomadaire, d'un quart d'heure, programmée le mardi soir à 19 heures 10 et entièrement réalisée en occitan. "País d'Aquí", diffusée en 1995 pour la deuxième année consécutive, est une émission réalisée par Francis Sorbier. Elle s'organise autour de plusieurs séquences alternant portraits, reportages et deux rubriques illustrées d'infographies expliquant et signifiant l'origine des noms de lieux et des noms de familles pour l'une, des expressions occitanes ou en "francitan" pour l'autre. François Sorbier affirme que les reportages ne se concentrent pas sur les aspect agricoles ou culturels du Périgord mais aborde aussi les éléments de la vie moderne. L'émission se termine par une séquence, particulièrement intéressante réalisée avec des enfants, scolarisés en primaire. Cette partie de l'émission est réalisée en collaboration avec Daniel Chavarosse, instituteur itinérant en Dordogne. L'expérience, s'est appuyée au départ sur l'école des Chênes verts à Sarlat, puis s'est étendue à d'autres établissements. En 1995, Daniel Chavarosse collabore avec plus d'une quarantaine d'écoles sur tout le département. Considéré comme un outils pédagogique par les enseignants, elle consiste pour les enfants à présenter un lieu de leur environnement, une activité locale et ce toujours en occitan. Volontairement, l'émission n'est pas sous-titrée. D'une manière général l'occitan utilisé sur Aquí TV est l'occitan languedocien .
Un troisième créneau horaire s'est ouvert à l'occitan en décembre 1995, il s'agit de la reprise et de la diffusion en direct de l'émission, "Viure al païs", réalisé par France 3 Sud. Cette collaboration est intervenue aux termes d'un accord amiable et non onéreux passé entre la chaîne privée et la chaîne publique au niveau national et local. Elle ne laisse pas de surprendre si l'on considère l'attitude de France 3 Aquitaine par rapport à l'occitan. Au demeurant, elle illustre les nouvelles synergies qui peuvent être mises en place entre public et privé en même temps que des entraides inter-régionales transgressant les frontières administratives.

2.2.3 • Les antennes "pirates" du pays basque et les potentialités transfrontalières.

A côté des coopérations transrégionales, des liaisons internationales se dessinent dans des espaces de communication transfrontaliers. Pour ce qui concerne l'Aquitaine, ces échanges audiovisuels ont lieu essentiellement entre le Pays Basque espagnol et le Pays Basque français et restent en majeure partie unilatéraux du sud vers le nord.
Le paysage audiovisuel espagnol est on le sait sensiblement différent du paysage français. La loi constitutionnelle espagnole ayant permis un partage de compétences en matière de télévision et de radiodiffusion entre l'État et les communauté autonomes, des chaînes régionales de plein exercice ont pu y voir le jour. C'est le cas dans la communauté autonome basque qui à travers Euskadi Irratia (radio) et Euskal Telebista (télévision), dispose d'un service public propre proposant des canaux de radio et de télévision émettant intégralement leurs programmes en basque.
Ces entités se sont tournées vers la France pour y étendre leurs zones de diffusion. Depuis le débuts des années 80, des collaborations et des échanges existent entre la chaîne radiophonique basque autonome et les radios bascophones associatives françaises. Par exemple, les émissions d'Euskadi Irratia étaient partiellement repris par la radio bayonnaise Gure Irratia, tandis que celle-ci lui fournissait des correspondances. En 1992, Euskal Telebista a pris l'initiative de créer un journal télévisé quotidien de 7 minutes portant sur l'actualité du Pays Basque français présenté en basque (dialecte Navarrais-Labourdin). Il est réalisé par une petite équipe de quatre personnes installée à Bayonne et est diffusé à deux reprises dans le programme général de ETB1, à 12 heures 50 et en fin d'après-midi. Son public est à la fois un public français bascophone et auquel cas ce journal représente une certaine concurrence sinon une compétition pour France 3 Euskal Herri, et il est aussi composé de Basques espagnols intéressés par l'actualité du Pays Basque nord. Une autre émission d'information, aujourd'hui suspendue, portant sur le Pays Basque français, hebdomadaire et en français celle là, a été proposée entre 1993 et 1995, sur le canal de la deuxième chaîne autonome basque, ETB2, diffusant pour sa part en castillan.
Si on pouvait recevoir ces émissions naturellement sur le périmètre côtier du Pays Basque français, ce n'était pas le cas dans l'intérieur du Pays Basque pour des raisons topographiques évidentes, la montagne de la Rhune formant écran avec la côte. Pourtant, et avant même la mise en place des émissions d'information évoquées, le désir s'était manifesté de capter les chaînes de télévision de la communauté autonome basque sur le versant nord de la frontière, et particulièrement la chaîne bascophone. Dès 1986, Pizkundea, la fédération des associations culturelles basques, avait engagé des démarches auprès de TDF afin d'obtenir l'installation de réémetteurs. L'entreprise de diffusion fit alors savoir aux demandeurs qu'une autorisation émanant de l'instance nationale française de régulation de l'audiovisuel était nécessaire. À de nouvelles demandes similaires, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, la CNCL et enfin le CSA opposèrent des refus, signifiant aux solliciteurs qu'il ne leur était possible d'accorder des autorisations "qu'à des services de télévision respectant la réglementation française" . En 1989, passant outre ce refus, une commune rurale basque de Soule, Louhossoa (521 habitants), installe de son propre chef un réémetteur pour diffuser en premier lieu la cinquième et sixième chaîne françaises auxquelles elle adjoint ETB1. Elle s'inspire en cela de l'exemple navarrais où devant les mêmes problèmes de réception des signaux hertziens des bascophones avaient adopté cette solution sans que cela n'entraîne de réaction de la part du gouvernement foral de la communauté autonome de Navarre . La formule est reprise par le Syndicat intercantonal du pays de Soule, puis par d'autres collectivités locales et fut appuyées par des élus et des notables locaux de tout bord, par l'association Pizkundea ainsi enfin que le SIVU, syndicat intercommunal à vocation unique, défenseur de la culture basque et financeur de l'Institut Culturel Basque, qui regroupe 141 des 159 communes du Pays Basque français. En 1995, 18 réémetteurs pirates avait été installés. En France, comme en Navarre, aucune action judiciaire ou policière hostiles n'a été enregistrée de la part des pouvoirs public qui n'ignoraient cependant rien d'une situation illégale. Celle-ci semble tout au contraire en passe de trouver un épilogue négocié et officiel. En effet à la suite de discussions engagées entre différents acteurs un accord est intervenu. En 1996, TDF mettra en place, en France, les émetteurs et répétiteurs nécessaires à la diffusion des programmes d'ETB1 mais c'est, à travers le relais du SIVU, la communauté autonome basque qui en assurera la charge financière . L'approfondissement de ces liens transfrontaliers ne peuvent que satisfaire les militants de la langue et de la culture basque, qui alors que s'éloigne la perspective de la création d'une télévision locale bascophone propre au Pays Basque français tournent leurs espoirs vers le sud et envisagent de nouvelles perspectives. "Il y a une télévision basque qui est captée par 95% de la population. Dirigeons nos efforts de ce côté là. [...] laissons de côté les rêves et travaillons du côté de l'efficacité : la collaboration avec ETB qui a le mérite d'exister et qui ne demande pas mieux [...] C'est là et uniquement là que nous pouvons espérer quelque chose de valable pour Iparralde" .
Mais cette question suppose d'autres enjeux, politiques ceux-là, car il est vrai que certains investissent plus que des considérations linguistiques dans la pénétration appelée et célébrée des médias basques du sud vers le nord des Pyrénées.



CONCLUSION : CONSTATS ET PERSPECTIVES.

L'observation de l'usage des langues régionales sur les médias audiovisuels d'Aquitaine ou reçus en Aquitaine fait ressortir quelques données historiques et quantitatives favorables de leur point de vue. Indéniablement leur situation s'est améliorée et les volumes horaires d'émissions consacrées aux langues minoritaires ou bien les utilisant sont en augmentation sur la longue tendance. Mais il peuvent encore être hugés insuffisant et pout particulièrtement en matière de télévision. Ici, nous sommes encore loin d'une situation de normalisation linguistique et très en retard sur nos voisins d'outre Pyrénées qui peuvent pour leur part faire profiter les cultures en contact de leurs acquis.
Les données quantitatives constituent une donnée objective, mais doivent être pondérées et nuancées. En effet, la place accordée aux langues régionales est variable et les émissions radiophoniques ou de télévision considérées peuvent représenter en temps et en contenu des pertinences inégales d'un médias à l'autre. On distinguera d'un côté les médias privilégiant des modèles d'acceptation des langues minoritaires au sein de leur programmes, l'émission apparaît alors comme un créneau horaire thématique spécifique. D'un autre côté existe des modèles d'intégration. La langue devient alors un élément de la programmation et de la production insérée comme les autres, ou parfois plus que les autres au sein du projet médiatique.
Quand on confronte les gens de radio et de télévision à l'idée ou à l'observation des émissions en langue minoritaire, on peut être surpris de constater la place récurrente qu'occupe la référence au thème du "ghetto", soit qu'ils veuillent s'en dédouaner, soit qu'ils stigmatisent ainsi des pratiques ou attitudes qu'ils récusent. L'amalgame, puisque s'en est un, revêt diverses significations. Pour les uns, la notion de ghetto servira à designer les programmes en langues minoritaires qui enfermerait leurs publics dans des chapelles du fait même qu'ils ne peuvent être compris de tous. Pour d'autres, l'idée de ghetto renvoi aux contenus des émissions qui serrent les langues sur elles-mêmes et dans leur seul contexte coutumier en multipliant les dénotations nostalgiques à un monde agreste. Ce sont souvent alors des émissions ponctuelles et détachées du reste de la programmation qui sont ainsi désignées. Cet usage linguistique leur semble tourné vers le passé et ne leur apparaît pas satisfaisant ou pertinent au regard de la représentation des langues dans la population, de leur vitalité et de leur devenir. Au lieu de favoriser la normalisation des langues, ces pratiques les placeraient dans des musées audiovisuels. Ces appréciations sont souvent portées au corps défendant des promoteurs des émissions en questions qui en juge tout autrement. En l'occurrence, de leur point de vue, la seule présence radiophonique des langues régionales, même restreinte, est bonne à prendre. Effctivement si réduites soient-elles, ces émissions contribuent tout au moins à la visibilité des langues qu’elles utilisent, démontrant ainsi leur maintien. Mais on peut bien sûr, en réponse aux critiques précédemment évoquées, considérer la supériorité apparente des médias qui pratiquent un usage totalisant (ou majoritaire) des langues régionales, ce qui peut les conduire à l'appréhension d'une universalité de sujets et de lieux sans tendre à confiner l'usage du code linguistique à des aspects particuliers. Les avantages du bilinguisme ne sont pas non plus à négliger. Non pas le bilinguisme strictement établi par un partage horaire strict du temps d'antenne, mais le bilinguisme mouvant quand la langue minoritaire se diffuse et même peut-on dire contamine l'ensemble des émissions. Cette expression devient une voie particulièrement productive du point de vue de la légitimation et de la normalisation : langues minorisées et langues dominantes étant placées sur un pied d'égalité au sein d'une même présentation médiatique.

L'avenir de l'audiovisuel en langue minoritaire dépend de facteurs endogènes et exogènes. L'évolution même des médias électroniques semble les favoriser. Les mass-médias d'hier, ou plutôt la conception que l'on s'en faisait, supposait en correspondance un public de masse homogénéisé. En conséquence, la radiotélévision de masse semblait forcément devoir être généraliste et unificatrice. La multiplication des supports et des canaux de diffusion modifie cette conception. L'heure est à la segmentation des publics et à celle des programmes. La formatisation ou la thématisation des émissions puis directement des médias audiovisuels est une tendance générale. Déjà largement entamée en radiodiffusion, elle commence à s'appliquer aujourd'hui à la télévision. La multiplication des publics appelle une diversification de l'offre médiatique. L'emploi d'une langue régionale ou les références aux cultures minoritaires sont des composants de dissemblance et de contraste, ils peuvent alors être utilisés pour construire de nouvelles propositions médiatiques.

Dépassant le cadre francais les risques d'un impérialisme ou d'un nivellement culturel supra-national existent mais la réalité concrête de l’internationalisation de la communication, comme le fait remarquer Armand Mattelart, ressort encore beaucoup du domaine de la mythologie. Dans le domaine économique, si la tentation à la globalisation mondiale est forte, certains font valoir les mérites de la segmentation des marchés et des cibles. Aujourd’hui, écrit-il, “toute stratégie de l’entreprise-réseau sur le marché mondialisé doit être à la fois locale et globale. C’est ce que les manageurs japonais expriment à travers le néologisme glocalize, contraction de global et le local” . Les industries médiatique n’échappent pas à cette tendance. Dans leur intérêt pour le local, nul attendrissement ou sentiment altruiste envers les petites dimensions et les éléments culturels qui s’y inscrivent, la “glocalisation” peut plutôt s’analyser comme à la fois une exploitation plus étroite et adaptée des marchés, une solution aux dysfonctionnement ou aux résistances diverses opposés à la standardisation, ou encore comme une stratégie destinée à faire sauter ou à contourner les obstacles que présentent les États-nations.
Mais quels qu’en soient les tenants, la “glocalisation médiatique” offrent des opportunités d’expression aux cultures minoritaires. Et comme les autres, les cultures singulières d’Aquitaine peuvent y trouver un rôle à jouer, une place à tenir en prenant garde de ne pas être noyées dans des enjeux qui les utilisent pour les dépasser. En effet, nombre de projets ne pensent les médias locaux qu’au service d’ensembles géographiques plus vastes et de nouvelles centralités. Certains projets ou discours européens sont à ranger dans ce registre. Parmi les données concrêtes qui favorisent les langues et cultures régionales, il faut justement considérer les institutions européennes et leurs capacités d’interventions. Elles disposent déjà et développent un éventail de mesures favorisant la dimension régionale de l'espace audiovisuel européen .

Mais c’est sans doute en leur sein même que les régions ou pays dotés d’une personnalité linguistique propre trouveront ou non les moyens et la volonté de préserver ou de promouvoir leur capital culturel en lui donnant entre autre une représentation audiovisuelle indispensable aujourd’hui à l’affichage et à l’existence équivalente d’une langue par rapport aux autres. Les données et influences exterieures qu’elles soient restrictives ou développantes ne sont que des facteurs accompagnants, la vitalité culturelle et linguistique, la force des revendications qui en découlent ont une tout autre importance. Dans le cas aquitain, à plusieurs reprises l'absence ou l'inutilité des émissions en basques ou en occitan n'ont-elles pas été justifiées, par nos interlocuteurs par l'absence ou l'extinction d'une demande sociale. A l'inverse quand celle-ci existe comme c'est le cas manifestement dans les Pyrénées-Atlantiques l'offre médiatique est plus conséquente qu'ailleurs.

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