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Jean-Jacques Cheval

Maître de conférences à l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3
Chercheur associé au laboratoire CERVL- Pouvoir, Action publique, Territoire (UMR 5116 du CNRS)
Responsable du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Radio (GRER)

Cet article est paru dans Cahiers d'Histoire de la Radiodiffusion, n° 67 ("Des radios pirates aux radios libres"), janvier-mars 2001, 178 p.


LES RADIOS LIBRES A BORDEAUX ET EN AQUITAINE
AU TOURNANT DES ANNEES 80


Au milieu des années 70, les Aquitains vivaient dans une certaine pénurie radiophonique, plus manifeste peut-être encore que dans le reste de la France. Les stations périphériques étaient mal reçues en Aquitaine, en particuliers RTL et Europe 1 dont les émetteurs étaient trop éloignés. La réception de RMC et de Sud Radio (voire de Radio Andorre) était plus satisfaisante sans être toutefois parfaite. Ce qui laissait une large place à Radio France et surtout à ses programmes nationaux. Localement Aquitaine Radio, héritière de Bordeaux Aquitaine, rattachée à FR3 depuis la disparition de l’ORTF, ne diffusait ses émissions qu’en matinée, décrochant des émetteurs de France-Inter sur la modulation de fréquence. L’activité était sans doute un peu accrue durant les vacances, notamment à partir de l'été 1968, l’antenne décentralisée de Bayonne bénéficia d'une promotion avec une opération "Radio Côte Basque" menée par Pierre Caudou et Jean Garetto. En 1972, imitée de FIP à Paris, France Inter Bordeaux (FIB) était née en Gironde. Des habitudes durables sont prises dans cette période. On le constate, près de vingt ans après les bouleversements qui ont affecté le système radiophonique français, le service public de la radio obtient encore les meilleurs résultats d’audience en Aquitaine.
Mais pour l’heure, c’était une certaine fronde qui régnait sur les ondes du Sud-Ouest et même si l'Aquitaine n'a pas joué un rôle majeur de pionnier dans le domaine des radios libres ou radios pirates, on y recense différentes expériences qui illustrent la contestation montante et diversifiée au monopole d’Etat de la radiodiffusion à la veille de l’élection présidentielle de 1981. Outre celles que nous allons évoquer, il a certainement existé d’autres exemples de radios illégales en Aquitaine. Mais il est difficile d’être exhaustif en la matière. Ephémères, clandestines, ces stations n’ont pas toutes laissé de traces. Ainsi pour en avoir rencontré le créateur, nous pouvons attester l’existence d’une radio pirate à Pessac, durant l’été 1968. Foucade d’adolescent, cette expérience n’avait pas de rapport avec les événements du mois de mai précédent. Elle s’arrêta au bout de quelques jours sous la menace discrète, mais ferme des autorités. La mémoire locale n’a pas conservé le souvenir de cette expérience sinon auprès de son concepteur .
Comme ailleurs en France, c’est véritablement dans la deuxième moitié des années 70 que le mouvement des radios libres connaît un développement notable en Gironde surtout et dans les départements voisins .

LA PERIODE DE LA CLANDESTINITE

"Radio Pop Bordeaux", 1974-1976

Le quotidien bordelais Sud Ouest ne cache pas sa surprise quand il découvre en 1976 l'existence d'une radio pirate à Bordeaux, qui a été longtemps présentée comme la plus ancienne expérience de radio pirate en Gironde.
« On a du mal à le croire et pourtant c'est vrai : depuis près de deux ans une station de radio privée émet illégalement à Bordeaux. Mieux : cette radio pirate a du succès et ses auditeurs ne cessent de se multiplier. Télédiffusion de France vient d'en découvrir l'existence et aurait déposé une plainte au parquet de Bordeaux pour infraction au monopole des télécommunications qui lui est concédé. Cette situation pour le moins insolite a conduit la D.S.T. à s'intéresser à ce nouveau venu des ondes » .
Effectivement le 9 septembre 1976, la police a saisi un des réémetteurs de la radio, mais ne s'est pas encore attaquée au studio principal, studio qui se compose de peu de choses : « trois magnétophones, un tourne-disque, un amplificateur, une chambre d'écho, un émetteur grand comme deux paquets de sucre (...) ». L'émetteur a une puissance de 10 watts et « il ne vaut pas plus de 200 francs » . Il est de fabrication artisanale. C'est Michel M., le créateur de la station doté d'un C.A.P d'électronique, nous dit Sud Ouest, qui l'a construit. Les programmes diffusés en modulation de fréquences sur 88 MHz paraissent bien anodins : « Nous passons presque exclusivement de la musique pop parce que nous l'aimons et voulons en faire profiter ceux qui nous écoutent. Je ne fais pas cela pour gagner l'argent. Nous diffusons quand nous avons un moment, mais il n'y a pas d'heure ni de jour. Ça dépend de l'humeur... » .
Pour concevoir ses émissions musicales, Michel M. reçoit l'aide d'un ami, employé de discothèque. Ils déclarent au journal capter un auditoire sans cesse croissant et pour preuve, ils affirment avoir reçu une cinquantaine d'appels une nuit où ils s'étaient décidés à donner un numéro de téléphone à l'antenne.
Quelques années plus tard l'anonymat est tombé, derrière Michel M. se cachait Michel Miquel, fondateur en 1981 de Studio 2000. Son complice, disc jockey dans une discothèque de la banlieue bordelaise, était Pascal Barreau, premier directeur de la station. Trois autres personnes tournaient autour de Radio Pirate Pop Bordeaux, des techniciens notamment, l'un était électricien, l'autre électronicien chez I.B.M. L'aventure de la radio s'arrêta en 1976 après l'article de Sud Ouest. La suspension des émissions fut décidée après une injonction de la Préfecture assortie d'une amende de 1500 Francs et d’une saisie de matériel, qui ne fut que provisoire car celui-ci fut restitué par la suite.

En 1978, une éphémère expérience du Parti Communiste à Bordeaux

Le 29 juillet 1978, pour marquer son hostilité à l'entrée de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce dans la Communauté Economique Européenne, le Parti Communiste organise une journée d’action et de sensibilisation de la population.
Plusieurs actions se conjuguent : distributions de tracts et de productions agricoles locales sur les routes des vacances, deux avions déploient des banderoles dans le ciel des plages landaises et enfin, une émission de radio est diffusée depuis la rive droite de Bordeaux, en modulation de fréquences, avec un émetteur de 25 watts seulement installé sur le toit d’un immeuble de 14 étages.
L’opération dure quatre heures, mais c'est en fait la même cassette de 30 minutes qui est multidiffusée. Son contenu est en liaison bien sûr avec le thème de l'action, il s'attache à décrire les méfaits pour la région d'un éventuel élargissement du Marché Commun. Commencées en fin de matinée, les émissions s'achèvent vers 15 H 15.
L'article de Sud Ouest qui relate l'événement s'accompagne d'une photo, on peut y voir Pierre Juquin, mèche au vent sur le toit de l'immeuble, à côté de l'antenne qui sert à diffuser le programme. Dirigeant du PCF alors en vue, sa présence indique bien qu'il s'agit là d'une initiative politique nationale, décentralisée en province plutôt que d'une tentative décidée par la fédération girondine. Ces émissions restent d'ailleurs sans lendemain, mais Pierre Juquin saisit l'occasion pour évoquer la possibilité « de créer une nouvelle radio qui serait contrôlée par les usagers eux-mêmes, ouverte aux partis, aux syndicats, pluraliste » .

La Radio d’un seul auditeur ou l'origine de Radio Oxygène

Une autre expérience, lancée également en 1978, a été conçue, du moins dans ses débuts, pour un seul et unique auditeur : Patrick Destruhaut, insoumis total au service national qui pour cela était poursuivi et emprisonné à la Maison d'arrêt de Gradignan. La radio imaginée par le GRANV (Groupe de Recherche et d'Action Non Violente) et soutenue par d'autres groupes écologistes ou d'extrême gauche, était destinée à maintenir le contact avec le prisonnier, à le soutenir et à lui apporter un certain réconfort. L'émetteur et un magnétophone étaient posés tout simplement sur le trottoir en face de la prison. Ses amis lui passaient les disques qu'il aimait. Ils émettaient jusqu'à ce que les gardiens ou la police se manifestent, mais jamais plus d'une demi-heure .
Par la suite Patrick Destruhaut fut transféré dans une autre ville, les créateurs de la station décidèrent toutefois de conserver l'émetteur et de se servir de ce nouveau moyen d'expression qu'ils avaient à leur disposition. Ainsi, au mois de mai 1978, la radio était présente sur la place Saint Projet à Bordeaux pour un match de football symbolique organisé par le comité de boycott du Mundial en Argentine . L'article de presse qui rend compte de l'expérience ne dit pas si la radio a émis à cette occasion ou bien si ce ne fut pour elle que le moyen de se faire connaître et éventuellement de collecter quelques éléments sonores.
D'autres émissions eurent lieu, mais il est difficile de localiser les lieux et les dates de celle-ci, les souvenirs se sont estompés rapidement. Toutefois, outre les brouillages qu'eut à subir la station, le 19 mai 1978, FR3 Bordeaux consacrait une séquence du journal régional à la radio. Le 14 juin suivant, des policiers se présentaient à la station régionale de télévision, munis d'une décision de la commission rogatoire du parquet de Bordeaux pour saisir les bobines du reportage. Elles leur furent remises, ce qui entraîna de vives protestations de la part des membres du Syndicat National des Journalistes de la station. On retrouve les fondateurs de cette radio libre atypique en 1981, ils forment la base d’une radio alternative célèbre en son temps à Bordeaux : Radio Oxygène.

1978, Radio Campus à Bordeaux

C’est encore en 1978, au mois de mars, qu’est née Radio Campus dans l’un des villages universitaires du campus de Pessac et Talence. Elle a été créée par la volonté d'un groupe d'étudiants et d’amis logeant dans la même résidence depuis trois ans.
Ceux d’entre eux qui poursuivaient des études techniques à l’IUT voisin se chargèrent de la partie technique et de la fabrication d'un émetteur. Emetteur assez faible au demeurant, la radio qui émettait en modulation de fréquence sur 102 MHz ne couvrait qu’un rayon de deux à deux kilomètres et demi.
Radio Campus était installée au cinquième et dernier étage d'un des bâtiments. Elle n'eut jamais à subir de brouillage, ni de poursuite d'aucune sorte, malgré l'annonce à l'avance des émissions par quelques affiches apposées dans les différentes universités et l'indication d'une adresse où l'on pouvait joindre les animateurs.
Les émissions avaient lieu entre 21 H et 23 H le soir, à l’origine elles furent essentiellement musicales, puis les étudiants de Radio Campus s'attachèrent à concevoir des programmes plus élaborés : culturels ou politiques, certains associant les deux aspects : « Le phénomène Punk, sa musique et ses prolongements », « Cultures régionales et folksong », « la ville américaine », « l'Afrique traditionnelle et l'Afrique contemporaine théâtre des interventions militaires étrangères »...
Signe de son origine universitaire, l'activité de la radio fut suspendue durant l'été 1978 et reprit à l'automne, mais peu à peu l'expérience s'essouffla.

1979/1980, Radio CGT 33

C'est peut-être Radio CGT 33 qui est apparue à cette époque le projet le plus développé, sans doute parce que des différentes radios pirates girondines, c'était la mieux équipée, la mieux structurée et aussi celle qui émit le plus régulièrement. De plus, comme ailleurs en France, à l’instar de Radio Lorraine Cœur d’Acier, la CGT à Bordeaux n'avait pas choisi la clandestinité, c'est au grand jour que Radio CGT 33 a existé. Elle occupait un local désaffecté des PTT au rez-de-chaussée de la bourse du travail CGT, cours Aristide Briand dans le centre ville de Bordeaux. Les instigateurs de la radio pensaient, avec raison d’ailleurs, que nul n'oserait violer l'entrée du bâtiment syndical. La radio fut tout de même protégée, quelque 500 militants se relayaient jour et nuit par quart de huit heures, pour la protéger. Il était prévu qu’en cas d'attaque extérieure, tout le matériel pouvait être évacué en lieu sûr en une dizaine de minutes.
Le matériel qui a servi à monter Radio CGT 33 avait été fourni par la Direction confédérale du syndicat, et avait déjà servi auparavant pour des radios itinérantes du syndicat en Normandie et en Bretagne. L'émetteur avait une puissance de 600 watts selon les responsables locaux de la CGT , de 2 kilowatts selon la préfecture .
Deux raisons principales avaient poussé le syndicat à lancer une radio en Gironde. Tout d’abord, la date de son lancement avait été choisie en fonction de la proximité des élections prud’homales, qui eurent lieu le 12 décembre 1979. La radio avait pour but d'animer la campagne électorale. Mais le département avait également été élu en raison de sa situation sociale, six entreprises y étaient alors occupées par leurs salariés en grève.
En 1979, comme en 1980, Radio CGT 33 a émis durant une semaine (du lundi 21 novembre au samedi 26). Les programmes s'organisaient de la façon suivante : la radio émettait de 7h. à 10h., de 12 à 14h. et de 19 à 21h., entre temps elle diffusait le fil musical piraté de FIB (France Inter Bordeaux). Soit 42 heures d'émissions au total. Si en novembre 1979, la radio laissait une place importante aux élections prud'homales, d'autres thèmes furent abordés : la jeunesse et l'enseignement, les P.T.T, une chronique juridique était annoncée . Radio CGT 33 évoque la région Aquitaine, la situation économique en Gironde, la chasse et également les Jeux Olympiques. Ce dernier thème est l’occasion pour des auditeurs de marquer au téléphone leur désaccord avec l’entrée de l’armée soviétique en Afghanistan, on les laisse s’exprimer librement.
L’action et les buts de la radio sont présentés de la manière suivante : « La situation réelle vécue par les travailleurs est pratiquement absente du contenu de l'information dans notre pays. (…) Il ne s’agit pas pour nous de mettre en cause le caractère de service public que doit conserver l’information : il s’agit d’une réaction légitime dictée par le black out exercé par les grands moyens d’information sur la situation réelle des travailleurs, les raisons de leur mécontentement et leurs luttes » .
Les émissions ont été annoncées par voie de tracts et d'affiches, sur l'une d'elles on pouvait voir et lire : « Silence (en direction de patrons et de contremaîtres), ils écoutent Radio CGT 33, la voix de ceux que l'on fait taire ». L’année suivante, les auditeurs seront invités à « faire la différence entre ce que dira Radio CGT 33 et le silence des autres », les autres qui sont nommément désignés : FR3, Radio Aquitaine, Radio Monte Carlo, Sud Radio, France Inter tous ayant des correspondants à Bordeaux mais aussi le journal Sud Ouest .
Pourtant la CGT reçoit pour cette fois un renfort de poids à travers le journal Sud Ouest justement. En 1979, le quotidien bordelais publie un article chaque jour les 21, 22, 23 novembre 1979 et le commentaire de l'événement que fait le journal, sous la plume de Jean Eimer, est loin d'être hostile : « Les émissions sont dans l’ensemble peu tristes malgré la gravité supposée des propos. Car une radio ne s’improvise pas sans risque de gros fou rire. Le résultat est guilleret. Par-delà l'ironie ou le fanatisme, on écoute la différence sans déplaisir. C'est tout à la fois le charme du neuf, la séduction de la fronde et le rêve de ce que pourraient faire les radios locales enfin débarrassées du carcan de l'Etat » .
Les autorités ne sont pas restées sans agir. En 1979, TDF avait essayé de brouiller la radio ; sans succès indique Sud Ouest puisqu'elle était entendue dans un rayon de 30 kilomètres autour de Bordeaux avec un confort d'écoute équivalant à celui de la station de FR3, Aquitaine Radio . Les techniciens de la radio avaient installé la radio sur les ondes juste à côté de la fréquence occupée par France Inter, rendant ainsi délicat tout brouillage qui risquait de gêner également la radio nationale.
En 1979, le parquet de Bordeaux avait été saisi de l'affaire après que la police judiciaire eut constaté le délit . Ce n'est que le 13 juin 1980, soit après la deuxième vague d'activité de la station que Jean Dartigues, secrétaire général de l’Union Départementale CGT, est appelé à répondre aux questions des enquêteurs. Ce qui aboutit le 5 décembre 1980 à l'inculpation de celui-ci et de trois autres militants ayant participé à l'infraction. Leur comparution devant le juge d'instruction s'accompagne d'une manifestation de 250 personnes à Bordeaux, selon Sud Ouest. Une délégation de soutien demande que les poursuites soient menées collectivement contre les quatre inculpés et non pas individuellement .
Sans se laisser impressionner par ces poursuites, la CGT récidive en 1980, les raisons avancées sont les mêmes : « Pour briser le mur du silence, Radio CGT 33 reprend. Durant quelques jours, elle aura pour mission d'être l'amplificateur des luttes en Aquitaine » .
Les inculpés n’eurent jamais à comparaître devant le tribunal correctionnel, comme d’autres plus célèbres, tel François Mitterrand. En 1981, ils bénéficient de la loi d'amnistie au moment où a lieu une troisième vague d'émission de Radio CGT 33.

À côté de ces expériences notables, il y eut aussi des tentatives avortées. Ainsi le 18 avril 1978, par exemple, Sud Ouest titrait : « Une radio pirate à Bordeaux, première émission demain avec la complicité de Saint Pierre » (il s'agit du quartier Saint Pierre à Bordeaux). Des émissions hebdomadaires étaient prévues, les mercredis de 18 à 19 Heures sur 104 MHz. Un animateur avait défini ainsi les buts de la station : « Nous n'entendons point imiter les grandes stations nationales. Notre cible est seulement locale... » . En fait, l'émission n'eut pas lieu, le brouillage de TDF rendant inaudible par avance toute audition .

Dans les autres départements de l'Aquitaine, le mouvement des radios libres fut moins développé ou bien souvent là aussi il ne laissa guère de trace. Dans le Lot-et-Garonne en 1979 un groupe de jeunes constitué de Jean Pierre Allaux, Jacques Massey, Jean Pierre Epinette, Christian Jaunasse, lancent Radio Babel à Villeneuve-sur-Lot. Les premières émissions ont lieu en août 1980. Parmi les thèmes développés par cette station il y a les luttes écologistes et anti-nucléaires, en particulier l’opposition à la construction d’une centrale nucléaire à Golfech dans la vallée de la Garonne, dans le département voisin du Tarn-et-Garonne, qui sera finalement construite.
Il semble bien que les promoteurs de Radio Gascogne à Nérac aient décidé de la création d'une radio à la fin de 1980. À Pau, quelques émissions avaient commencé, à titre expérimental surtout, un peu avant l'élection de mai 1981. Ce qui devait donner un peu plus tard naissance à la Radio des Gaves. On pourrait certainement multiplier les exemples de ce type. Enfin un autre type d’expériences a concerné l’Aquitaine : la tentative d’implantation de ce que l’on pourrait appeler des « radios périphériques libres ».

De nouvelles radios périphériques « libres »

L’idée de créer une radio en périphérie de l’Aquitaine, c’est-à-dire naturellement en Espagne, est ancienne. Des premières tentatives chaotiques eurent lieu entre 1969 et 1975, sous le nom de Radio Atlantic 2000, avec notamment l’appui du journal Sud Ouest. Ce fut un échec tant en raison de l’hostilité que lui a témoignée l’Etat français qu’à cause des difficultés techniques auxquelles elle s’était heurtée. La radio était audible théoriquement de Bilbao jusqu'à La Rochelle, mais elle ne l’était en fait que dans une forêt des Landes désertée et sur la frange littorale. « En ondes moyennes, Atlantic 2000 était entendue depuis Bilbao jusqu'à La Rochelle. Mais cette radio portait bien son nom, puisqu'elle couvrait une longue portion de la côte Atlantique sur une largeur variant de 5 à 10 kilomètres » . Sans liens étroits avec le mouvement des radios libres, cette radio voulait se rattacher au modèle plus traditionnel des radios privées commerciales. La critique du monopole ne s’accompagnait pas ici de contestation sociale ou politique.
L’idée d’émettre depuis l’Espagne est reprise quelques années plus tard. Radio Adour Navarre est lancée le 9 juillet 1978 par Alexandre de la Cerda, son créateur, depuis le Pays Basque espagnol. Le Monde, le 9 juillet et le 27 Sud Ouest lui consacrent un article. D'autres quotidiens, Le Matin, La Croix… signalèrent l'existence de ce poste qui existait à la manière des postes périphériques. Son premier et principal mérite, ironisait-on, était d’avoir réveillé l'antenne locale de FR3 (Radio Côte Basque). Cette station, comme Atlantic 2000, louait un temps d'antenne sur l'émetteur d'une radio située au Pays Basque espagnol. Il s’agissait ici de Radio Popular de Loyola près de San Sebastian, une station de la puissante chaîne radiophonique COPE, appartenant à l’église catholique espagnole.
Son émetteur venait d’être reconstruit et portait jusqu'à Mont-de-Marsan. Le père Arregui, alors directeur de la station, souhaitait nouer des liens avec une radio du Pays Basque français, afin d'étendre son réseau de correspondants radiophoniques à l'ensemble du Pays Basque. « Nous collaborons depuis longtemps avec les stations locales de Bilbao et St-Sébastien, le besoin d'une relation avec les provinces Basques du Nord des Pyrénées se faisait sentir. À Bayonne, une équipe nous a proposé ses services. Nous avons un émetteur modulation de fréquence qui peut atteindre le Sud de la France et la chaîne à laquelle nous appartenons (la COPE) nous accorde une grande autonomie » . Alexandre de la Cerda évoquait quant à lui « nos frères du Pays Basque sud » . Radio Adour Navarre répondait ainsi aux aspirations des défenseurs du projet nationaliste basque, partisan d’un grand Pays Basque, unifiant les sept provinces espagnoles et françaises qui à leurs yeux le constituent de manière historique .
La radio s’est positionnée comme un média multilingue au bout de quelques mois de fonctionnement diffusant ses programmes en Français mais aussi en Basque et en Gascon. En 1981, le basque représentait 25 % du temps d'antenne de la station qui proposait également des programmes en gascon (14 % de son temps d'antenne) et en portugais (une heure hebdomadaire). À ce moment-là, suite de la légalisation des radios libres, Radio Adour Navarre a pu rapatrier ses studios à Bayonne, non sans subir quelques brouillages, car cette radio refuse l’interdiction de la publicité sur les ondes des radios associatives et ne renonce pas à cette source de financement. Bien que privée, Radio Adour Navarre aspirait à devenir une station régionale privée de service public, c'est-à-dire au service de toutes les entités, de tous les groupes, de toutes les communautés culturelles et linguistiques. Elle sera victime de ce statut autoproclamé de radio « privée de service public », voulant concilier l'inconciliable : être une station commerciale financée par la publicité et une radio militante régionaliste de communication sociale à qui l'on assignait des missions forcément pénalisantes en termes d'audience.

Ces divers exemples de radios libres présentes en Aquitaine avant 1981 illustrent bien la grande diversité de ce phénomène. Simple loisir ludique de techniciens ou de passionnés de musique ; médias engagés politiquement à l’extrême gauche, dans le mouvement écologiste ou bien autour de la gauche traditionnelle ; spéculations sur ce que pourrait être les développements de la communication audiovisuelle privée commerciale, à l’évidence les radios libres d’Aquitaine - et d’ailleurs - ne se résumaient pas à un seul cas de figure. L’erreur et par voie de conséquence l’échec de l’après 1981 en la matière a été peut-être de vouloir les couler dans un moule identique alors même que leur diversité s’affirmait plus grande encore au lendemain de la victoire de François Mitterrand.

DE L’EUPHORIE A LA LEGALISATION ET A LA NORMALISATION

On connaît le slogan maoïste détourné, employé par les militants de Radio Alice en Italie : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent radios transmettent » . En mai 1981, il est repris et décliné sur tous les tons en France. Dès les résultats de l'élection présidentielle connus, des radios se lancent sur les ondes et dans les mois suivants le phénomène ne faiblit pas dans une véritable effervescence étourdissante. Cette irruption spontanée, ce bouillonnement oratoire fut finalement dans son ampleur, la seule manifestation d'une intervention directe de la société civile dans la mise en œuvre du « changement » annoncé. Par ailleurs, pour ceux qui imaginaient un scénario reproduisant les débuts du Front populaire en 1936, contrairement à leurs craintes ou à leurs espoirs antagonistes, le calme social a prévalu. Les Français attendaient que leurs aspirations nouvelles soient directement satisfaites par le haut . Dans le domaine de la radio libre, il en va tout autrement et, de fait, c’est à une prise de parole massive que l’on assiste. Le phénomène concerne l’ensemble du pays, l’Aquitaine aussi et plus particulièrement deux départements : la Gironde et les Pyrénées-Atlantiques. Entre 1981 et 1984, 131 radios locales privées s’installent sur les ondes en Aquitaine, d’autres sont en projet.

NOMBRE DE RADIOS LOCALES PRIVEES
AYANT DEBUTE LEURS EMISSIONS EN AQUITAINE ENTRE 1981 ET 1984
Dordogne Gironde Landes Lot-et-Garonne Pyrénées-Atlantiques TOTAL
1981 7 27 5 5 11 55
1982 2 10 6 2 14 34
1983 5 6 0 5 3 19
1984 3 6 1 4 9 23
TOTAL 17 49 12 16 37 131

La Gironde figure parmi les départements français qui ont connu la création du plus grand nombre de radios libres en 1981 et ensuite ; ce qui justifia selon le témoignage de Robert Prot que son cas soit parmi les premiers traités par les instances compétentes, la commission Holleaux, puis Galabert et enfin la Haute Autorité. Sur une durée plus longue, les données statistiques sont encore plus impressionnantes. Entre 1976 et 1986, nous avons pu recenser 111 noms différents de radios ayant existé en Gironde, toutefois le nombre de projets réels et véritablement distincts est inférieur, on peut avancer l'hypothèse de 85 projets radiophoniques sérieux ayant vu le jour dans le département. Parmi eux 44 ont été légalement autorisés à partir d’avril 1983. En 1984, on pouvait estimer à environ 1500 le nombre de personnes qui collaboraient de près ou de loin avec une radio locale privée en Gironde .
La première radio à se lancer sur Bordeaux, le 20 mai 1981, fut Radio Bordeaux Une, qui tirait son nom de cette situation. Elle était la création de Patrick Epron qui fut, en 1977, le plus jeune conseiller municipal élu de Bordeaux vice-président du Parti radical valoisien, candidat à diverses reprises de l’UDF lors d’élections locales, il appartient à l’ancienne majorité politique qui vient d’être défaite. À l’instar d’autres de ses amis qui étaient des partisans farouches du monopole et défendaient les poursuites contre les radios clandestines et leurs militants seulement quelques semaines auparavant, il change son fusil d’épaule et se lance le premier en Gironde dans cette nouvelle activité. D’autres radios suivront rapidement : Radio Côte d’Argent (dont le nom rappelle l’entre-deux-guerres de la radiodiffusion à Bordeaux), Radio Télé Garonne (socialiste), Radio Libre Bordeaux ou Radio 100 qui est créée par le journal Sud Ouest. Équipée à grands frais et dotée d’une équipe professionnelle, Radio 100 connaîtra malgré tout l’échec de ses ambitions et divers repositionnements. Ce fut le sort de beaucoup de radios du même type. Il s’avère assez vite en effet que le savoir-faire indéniable de la presse écrite régionale ou locale n’est pas immédiatement transposable sur la radio. Beaucoup d’autres RLP bordelaises ou girondines pourraient être citées encore, certaines au nom évocateur comme La Clé des Ondes (proche de l’extrême gauche), Radio Esgourde à Ste Foy la Grande, La Vie au Grand Hertz… Au total, ce sont 27 radios qui ont commencé à émettre en Gironde en 1981 ou bien qui ont repris ou poursuivi leurs activités quand elles étaient les héritières de radios libres historiques.
Entre 1981 et 1984, les radios libres devenues locales et privées (RLP) étaient toutes associatives. Conformément aux vœux de la majeure partie des militants d'avant 1981, elles étaient soustraites aux lois de l'économie de marché, le financement publicitaire étant exclu. Mais à deux exceptions près les radios émanaient en Gironde de nouvelles associations créées pour l'occasion et non pas d'associations préexistantes. On a pu très vite le constater : les grandes composantes du monde associatif sont restées à l'écart du mouvement des RLP. Toutefois certaines associations de moindre importance - peu fortunées elles aussi - ont appuyé, dans les limites de leurs moyens, certaines radios. Elles sont presque toutes logées à la même enseigne, elles ont alors peu de ressources. En moyenne leurs budgets sont de moins de 200 000 francs par an. Elles reposent entièrement sur le bénévolat, les animations qu'elles organisent et les cotisations de leurs membres et sympathisants. Les investissements en locaux et matériels tournent souvent autour de 100 ou 150 000 francs. Les radios se montent de bric et de broc, ce sont le plus souvent des équipements Hi-Fi domestiques qui constituent la base du matériel technique, tandis que les discothèques sont alimentées par les collections personnelles des animateurs. Fréquemment la qualité sonore des émissions n'est pas fameuse. Mais, dans la programmation et l’animation l'enthousiasme prévaut, un ton nouveau se fait jour, les projets fourmillent, des groupes et des communautés peuvent s'exprimer et se faire connaître, la qualité artistique ou journalistique n’est pas toujours au rendez-vous, on remarque régulièrement le narcissisme des nouveaux « radioteurs » mais ça et là émergent quelques individualités de talent. À Bordeaux Radio Angora devient ainsi une pépinière de futurs professionnels de la radio. On trouve notamment parmi eux les fondateurs de Wit FM.
Après cette période de l'effervescence, celle du meilleur et du pire, les radios dans leur quasi-totalité cherchent à s’inscrire dans la durée or les subventions prévues tardent à leur parvenir, les difficultés financières s'accroissent à mesure que l'on se rend compte que le public n'admet plus les erreurs du début et que chaque radio doit bénéficier d'un confort d'écoute correct et d'un minimum d'organisation et de régularité dans ses programmes. Aussi en dépit de la loi, dès 1983, comme ailleurs, des RLP d’Aquitaine recourent au financement publicitaire de manière ouverte ou dissimulée. Ces pratiques commerciales n'ont pas alors beaucoup d'envergure, le principal reproche qu'on peut leur faire est qu'elles s'apparentent souvent à de la publicité clandestine difficilement décelable par l'auditeur, sous forme de reportages publicitaires notamment. Les produits dérivés, présentés sous le nom de la station constituent une autre source de financement. Malgré la loi encore, la Gironde a connu l'existence de radios municipales telle Fréquence Sud à Mérignac. D’autres solutions sont envisagées : en mai 1984, Radio Côte d’Argent abandonne son identité et se franchise à la marque NRJ, elle est alors la première station provinciale d’un réseau qui commence tout juste son ascension.
Issue d’une décision directe et personnelle du Président de la République, la loi du 1er août 1984, change la donne. Elle autorise le financement publicitaire et les RLP ne sont plus tenues d'adopter un statut associatif. Cette décision fait plus qu’entériner une situation, dans une logique prévisible et impérieuse, la course aux revenus publicitaires s'accompagne d'une recherche de la plus vaste audience. La rentabilité économique suppose un maximum d'efficacité. Le financement commercial appelle à la concentration. Sur un plan technique, des radios veulent couvrir des périmètres toujours plus vastes.
En Aquitaine, environ 3 radios sur 4 choisissent d’aller vers un financement commercial. Mais il apparaît rapidement que l'écart se creuse entre les radios les plus chanceuses et les autres. Le financement publicitaire ne résout les problèmes que d'une petite partie des radios. Seules celles qui apparaissent en tête des sondages peuvent espérer vivre de la publicité.
On entre à ce moment-là clairement dans une nouvelle période marquée par la disparition de nombreuses stations et la concentration nationale autour de réseaux, où l’on retrouve au premier rang NRJ. Les radios locales privées seront de moins en moins souvent locales.
Après 1981, d’autres facteurs interviennent aussi dans la recomposition du paysage radiophonique régional. Le service public relève le défi des RLP. En Aquitaine, Radio France Périgord commence ses émissions en 1982, suivie de Radio France Bordeaux Gironde en 1983, de Radio France Landes en 1984 et, en 1985, une radio bicéphale naît dans les Pyrénées-Atlantiques sous les noms de Radio France Pays Basque et Radio France Pau Béarn. En avril 1986, ce sont les radios périphériques qui obtiendront l’autorisation d’implanter des émetteurs FM un peu partout en France. Fait assez rare, elles sont du même coup toutes les quatre autorisées à être présentes en Gironde.

En 1981, sur la bande de modulation de fréquence girondine, il était possible de recevoir 5 radios différentes, toutes de service public. En 1986, c’étaient 44 programmes distincts que l’on pouvait capter. Si les utopistes des radios libres n’ont pas tenu toutes leurs promesses, ils auront au moins permis le bouleversement d’une situation confinée et l’obtention d’un réel pluralisme radiophonique.

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