Les études sur la radio et la périodisation de la radio
L'évolution des études sur la radio peut être analysée selon plusieurs approches ; il y a une approche épistémologique, recherchant dans quels champs de recherche ont pu apparaître ces études, comment elles se sont intégrées dans les études sur la communication et sur la communication de masse, dégageant les différents modèles qui ont pu être présentés des systèmes de communication . Il y a une approche historique présentant l'évolution des études sur la radio en relation avec l'évolution de la radio elle-même, des moyens de l'étudier, des sociétés dans lesquelles elle s'est implantée. C'est cette deuxième approche que j'ai suivie ; mais il y a au moins un point commun entre les deux approches, les études sur la radio ne peuvent ignorer les autres moyens de communication de masse
Les études sur la radio évoluent selon les évolutions et les mutations que la radio a connues et connaît encore, mutations techniques qui se propagent de plus en plus vite des pays qui les inventent au reste du monde, mutations des statuts liés à la conjoncture politique propre à chaque Etat, évolution des contenus et des publics.
Ces études se différencient selon qu'elles considèrent la radio comme objet d'étude ou sujet d'étude. Comme objet d'étude, elles sont liées aux différents aspects de la radio en vue de rechercher des applications, des améliorations ; qu'il s'agisse des progrès scientifiques et des applications techniques de l'électronique, de l'acoustique et d'autres secteurs jusqu'au numérique ; qu'il s'agisse des institutions de la radio et de sa législation avec des études juridiques, tant dans un cadre national qu'au niveau international, la radio ayant eu, de naissance, une dimension internationale. Qu'il s'agisse des émissions avec la recherche de nouvelles utilisations du son (par exemple l'élaboration de la musique électronique) ou de la parole (par exemple les radio-drames) qu'il s'agisse enfin de l'étude des publics liée soit à la justification des programmes (pour les radios de service public), soit à la recherche d'efficacité par les publicitaires.
Ces études ont un objectif normatif et prospectif.
Mais des études prennent aussi la radio comme sujet, analysant son évolution et son insertion dans la société, les corrélations entre les évolutions techniques et structurelles, les émissions et les publics. C'est le cas de l'histoire de la radio, de la sociologie ou des sciences de l'information, décrivant des situations, les analysant pour les expliquer ou du moins les comprendre. Ces études se veulent scientifiques, utilisent les résultats des études précédemment citées, même si l'idéologie est inévitablement présente dans le choix des méthodes d'analyse entre école empirique et école critique. Les études de la radio comme sujet ne sont pas tributaires seulement de l'évolution de la radio et de la société dans laquelle elle est étudiée, mais aussi de l'évolution des sciences sociales et de leurs méthodes.
La périodisation de la radio s'inscrit dans deux registres ; un système technique des supports de communication mondialisé dés la naissance de la radio, avec une prépondérance des Etats-Unis qui s'est affirmée pendant la première guerre mondiale et ensuite, et un système de communication qui se rattache, dans chaque pays, aux systèmes politique, économique et culturel. Les études sur la radio tiennent compte de ces deux niveaux à des degrés divers ; l'influence des progrés techniques s'exerce dans des délais variables sur les structures aussi bien que sur les émissions et les publics. Mon propos s'appuie principalement, mais pas seulement, sur le cas français en m'efforçant de présenter une problèmatique plus générale.
I Une première période, jusqu'à la deuxième guerre mondiale, est dominée par la dimension technique
Les débuts de la radio en Amérique du Nord, presque aussitôt implantée en Europe au début des années 20 sont marqués par une évolution rapide des techniques, suite des progrés scientifiques tant dans l'émission et la transmission, avec la possibilité de multiplier les fréquences et les stations émettrices, avec l'utilisation aussi des ondes courtes, laissées tout d'abord aux radios amateurs, que dans la réception, les postes à lampes favorisant la diffusion de la musique.. L'antériorité des Etats-Unis apparaît à la fois tant dans la production du matériel nouveau, dans l'implantation, très répandue dés 1922 que dans les diverses utilisations et dans l'étude du public. La priorité dans ce dernier domaine s'explique dans le statut commercial de la radio américaine, financée par la publicité qui souhaite connaître l'efficacité des émissions. La priorité des Etats-Unis se retrouve constamment à partir des années 30 dans les études, avec l'arrivée de sociologues européens, surtout allemands et autrichiens, fuyant la dictature nazie.
Nous ne traiterons qu'incidemment des études américaines dans leur influence en Europe. Elles donneraient lieu, à elles seules, à une étude, ce que l'on peut trouver, pour les études techniques dans un livre de 1949 de W Rupert Mac Laurin, Invention and Innovation in the radio industry, et pour les études d'audience dans un livre de 1944 de Matthew Chappell, C. E. Hooper, Radio Audience Measurement.
L'orientation des études sur la radio différa selon les pays. En France la radio fut un objet de débat entre public et privé. Au cours de cette première période, les études concernant les techniques de la radio, liées aux progrès scientifiques se retrouvent dans les différents pays européens qui avaient contribué aux recherches sur la télégraphie sans fil avant la première guerre mondiale. Ces études en France associèrent souvent la marine et l'armée. Le poste de la Tour Eiffel à Paris, prenant la suite de la TSF, Télégraphie sans fil, était un poste militaire et c'est le général Ferrié qui établit le premier plan d'établissement de la radio en France. L'autre domaine qui fut abondamment traité dès les années 20 en France fut la dimension juridico-politique de la radio ; le problème de la politique de la radio précéda celui de la politique à la radio ; d'abord en raison du statut ambigü de la radio, caractérisé par le monopole de l'Etat sur les communications à distance, étendu à la radio en 1917, confirmé en 1923, mais interprété différemment selon les majorités politiques. Ainsi des postes privés furent tolérés, sinon autorisés, leur nombre limité à 13 en 1928. Le débat entre statut privé ou statut public entraîna une floraison de projets de statut sans aboutir avant 1939, ce qui contribua à une plus grande lenteur de l'implantation de la radio que dans les pays voisins. Quant à la politique à la radio, elle ne se posa véritablement, en France, qu'à partir des années 30 ; les hommes politiques français sous-estimèrent, à ses débuts, la radio. L'étroite relation entre le monde parlementaire et la presse limita pendant quelque temps l'information à la radio même si des postes privés avaient lancé dés les débuts, un « journal parlé ». La radio fut considérée davantage comme divertissement ou instrument de culture ; la presse en France ne voulait pas la reconnaître comme moyen d'information, même si des journaux s'associèrent à la création de certains postes, longtemps les programmes de TSF étaient publiés sous le titre « Concerts de TSF ». Participe à la même attitude, le quotidien radical L'œuvre , quand il écrit en 1923 « Pourquoi l'Etat français garde-t-il un droit de regard sur une simple distraction ? ». Le conflit entre la presse et la radio se posa très tôt aux Etats-Unis et en Angleterre trouvant une solution au début des années 30, plus tard en France vers 1936-1937. En 1939 le périodique Fortune indiquait que 70% des Américains trouvaient la radio fiable et 58% la presse.
Ce problème des rapports de la radio et de l'information, plus large que celui avec la presse, se posa dans beaucoup de pays, avec des formules différentes. L'utilisation de la radio à des fins de propagande dans l'Italie fasciste, la Russie soviétique avec l'Agit-prop ou l'Allemagne nazie sous l'action de Goebbels, rendait méfiant le monde politique ainsi que les intellectuels à la différence de ce qui se passait aux Etats-Unis. La psychologie dominante, le behaviorisme comme nouvelle science du comportement, voyait une illustration du matraquage par la radio dans les pays totalitaires, ce qui est illustré à la fin de la période par le livre de Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, paru en 1939.
Mais cette première période voit aussi une intense créativité à la radio dans son utilisation. Elle est porteuse de rêves et d'utopie d'autant plus exprimées qu'il s'agit d'activités encore en gestation. Le poète d'avant-garde russe Velimir Khlebinov, publie en 1921 The radio of future et le thème de la radio au service des relations entre les peuples est abondamment repris au cours des années 20. Bien que la radio servit d'abord de véhicule à d'autres moyens d'expression (musique, chanson, théâtre…), très rapidement – peut-être parce que son public encore limité, ses émissions ne paraissaient pas encore prêter à conséquence – des pionniers créèrent une nouvelle forme d'expression, ce que l'on appela les radio-drames, ce fut Danger diffusé en Angleterre le 15 janvier 1924 ou Spuk diffusé en Allemagne par Radio Breslau en 1925. En France Gabriel Germinet réalisa en 1924 Maremoto dont la diffusion fut interdite par les PTT à cause du ministère de la marine ; Germinet et Cusy publiaient en 1926 Le théâtre radiophonique, nouveau mode d'expression et Paul Deharme en 1928 Propositions pour un art radiophonique . Entre 1927 et 1932 Bertold Brecht élabora une théorie de la radio, écrivant des Propositions au directeur de la radio, publiées dans le Berliner Borsen Courrier du 25 décembre 1927, « Il faut expérimenter le roman radiophonique ». Il préconisait une utilisation idéologique de la radio en 1930 : « L'art et la radio doivent être mis à la disposition de projets dialectiques » (dans sa pensée, collectiviste) et dans un article de 1932 d'un périodique de Darmstadt, dans un article « La radio appareil de communication «, il faisait la critique de l'utilisation de la radio par la bourgeoisie, « La technique a pu être, à une époque, suffisamment avancée pour produire la radio, alors que la société ne l'était pas encore assez pour l'accueillir », ajoutant « on n'avait rien à dire ». Mais surtout il déclarait : « Simple appareil de distribution, elle ne fait que transmettre, il faut la transformer d'appareil de distribution en appareil de communication …Si elle savait non seulement émettre mais recevoir, non seulement faire écouter l'auditeur mais le faire parler, ne pas l'isoler mais le mettre en relation avec les autres »
Brecht, qui souhaitait que la radio parle des évènements actuels, du Reichstag, des procès, que le Chancelier y informe les auditeurs, écrivit aussi pour la radio « Vol au dessus de l'Océan, pièce didactique radiophonique pour écoliers et écolières », diffusée à la radio le 29 juillet puis le 5 décembre 1929.
Une autre analyse de la radio fut présentée par un courant idéologique tout différent, le mouvement futuriste de Marinetti, dans le cadre de la politique culturelle fasciste, lançant dans la Gazetta del Popolo du 22 septembre 1933 le manifesto futuriste della radio : « Nous perfectionnons la radiophonie destinée à centupler le génie créateur de la race italienne ».
A cette recherche d'un art nouveau par la radio a contribué aussi Rudolph Arnheim qui, fuyant l'Allemagne nazie, s'est réfugié d'abord à Rome où il publia en 1936 Radio, an art of sound avant de gagner Londres puis les Etats-Unis.
L'émission du jeune Orson Welles, l'invasion de la terre par les martiens , en 1938, qui déclencha une panique chez certains auditeurs, illustre la vogue des fictions radiophoniques.
Le rôle éducatif de la radio fut aussi présenté dans plusieurs pays très tôt, notamment en Angleterre et aussi aux Etats-Unis.
Les premières recherches par enquêtes ou sondages sur l'audience commencèrent aux Etats-Unis vers 1935 et en Angleterre en 1937.
On trouve une présentation générale de la radio au cours de cette première période dans le livre d'Arno Huth, La radiodiffusion, puissance mondiale , publié en 1937.
La 2 ème période de la deuxième guerre mondiale au début des années 60. L'étude des effets de la radio.
Les études nuancent la thèse trop mécaniste de la toute puissance de la radio, qui insistait surtout sur ce que la radio faisait aux auditeurs. L'étude des effets de la radio porte davantage sur ce que les gens faisaient de la radio. Mais la radio avait joué un rôle trop important et différencié en Europe au cours de la guerre pour qu'elle ne soit pas considérée par l'opinion et par les pouvoirs politiques comme une force, premier élément d'information et premier moyen de divertissement dans l'Europe au lendemain de la guerre. Les émissions parlées prennent plus d'importance face à la musique. La radio est un instrument utilisé de part et d'autre dans la guerre froide.
Il y a toujours une priorité des Etats-Unis, même si la télévision y devient un objet d'étude privilégié. Les études empiriques, qui ont commencé à utiliser les sondages pour étudier l'audience, ont reçu leur impulsion de l'étude de Paul Lazarsfeld, Bernard Berelson et H. Gaudet, The people's choice , portant sur le rôle de la radio dans les élections de 1940 dans le comté d'Erié, réalisée en 1944 et publiée en 1948, relativisant la toute puissance de la radio, établissant le two step flow of communication, montrant le rôle des groupes et caractéristiques sociales dans les choix politiques. Une étude de Lazarsfeld de 1940, Radio and the printed page , avait déjà montré que l'intérêt porté aux émissions concernait surtout des sujets qui intéressaient déjà les auditeurs ; un autre livre de Lazarsfeld The people look at radio , publié en 1946 avait posé le problème de l'exposition sélective. Un autre ouvrage eut une grande influence, celui de Harold D Lasswell, The communication of ideas , de 1948, posant la recherche, who says what in which channel whom whith what effect. L'influence américaine allait être d'autant plus forte que les deux grands courants qui dominèrent les études concernant la communication, les études empiriques et les études critiques de l'Ecole de Francfort, étaient animés par des chercheurs américains ou réfugiés aux Etats-Unis.
Les cultural studies qui mettent en relations sociologie culturelles et infrastructures apparaissent en Angleterre à la fin de cette période avec Richard Hoggart en 1957.
Les sondages sur les audiences se développent aux Etats-Unis à la demande des publicitaires, et en Angleterre pour justifier les programmes avec un Audience Research Department au sein de la BBC et les Gallup polls. Les recherches sur la radio menées au sein de la BBCpeuvent être suivies dans BBC Quarterly, publiée entre 1946 et 1954. Des études sont publiées sur les radio-drames par le responsable de ces émissions, Val Gieguld, British radio drama 1922-1956, en 1957, et sur la radio scolaire par K. V. Bailey, The listening Schools en 1957. Les émissions religieuses, importantes à la BBC, sont aussi un objet d'étude au cours de cette période.
Une conférence de Lazarsfeld à la Sorbonne en janvier 1958, publiée dans les Cahiers d'Etudes de Radio-Télévision, situe bien les différences d'approches aux Etats-Unis et en France ; le titre était « Tendances actuelles de la sociologie des communications et comportement du public de la radio-télévision américaine » ; Lazarsfeld parla autant de la radio que de la télévision, disant : »Il y a six ans, tout le monde aux Etats-Unis croyait que c'en était fini de la radio », mais ajoutant que ce n'était plus le cas, notamment que les nouvelles et la musique étaient écoutées surtout à la radio. Il distinguait aussi la sociologie de l'évolution envisageant les effets à long terme de la radio et de la télévision, plus étudiés en France, de la sociologie de l'action dont s'occupait davantage la recherche américaine étudiant les effets à court terme. Cette situation était en rapport avec le principe commercial de la radio télévision américaine, attachant une grande importance aux taux d'écoute, et aussi en fonction des campagnes en faveur des activités sociales et civiques que les stations devaient diffuser gratuitement dans une certaine partie de leur temps. Les organisations civiques font étudier par des Universités les programmes et leur évaluation, ce qui explique une multiplication des cours de théorie et de recherche sur les moyens de communication dans les universités américaines et cela déjà avant la guerre. Après un premier temps d'optimisme sur l'effet des campagnes d'action civique à la radio (amitié avec les Noirs, tolérance religieuse …), on est passé à un pessimisme sur la puissance culturelle de la radio et ensuite à une combinaison des effets de la radio et des influences personnelles. En 1958, Lazarsfeld considérait avec prudence que « les effets de la radio-télévision sur notre société sont plutôt superficiels »
En France, la sociologie encore peu développée avant guerre n'avait pas porté son attention sur les débuts de la radio ; après la guerre elle dirigea ses recherches bien plus sur la télévision dont elle suivit l'implantation, tardive. Ce fut même le cas de Georges Friedmann un des premiers sociologues à s'intéresser en France aux problèmes de la communication de masse, qui avait parlé d ‘ « école parallèle » dans une série d'articles du journal Le Monde du 7 au 12 janvier 1966, au sujet de la radio et de la télévision, s'inspirant d'une étude publiée en 1944 sous l'impulsion de Lazarsfeld, Daytime serial listening. C'est encore plus sensible chez Jean Cazeneuve ou Abraham Moles. Une revue, La Nef consacrait en février-mars 1951 un numéro à « La radio cette inconnue ».
Les études sur la radio comme objet ont commencé en France, au sein de la radio pendant la guerre avec le Studio d'essai créé en 1942, devenu le Club d'essai à la libération à laquelle il avait participé par un appel à l'insurrection de Paris en Août 1944 sous l'impulsion de Pierre Schaeffer. Il recherchait l'expression radiophonique. Pierre Schaeffer s'intéressait surtout au groupe de recherche musicale créé en 1951 et il fut un des fondateurs de la musique concrète. Par ailleurs fut créé en 1948 un centre d'étude de radio-télévision, dirigé par Jean Tardieu et Bernard Blin qui publia entre 1954 et 1960 un Cahier d'études de radio télévision, dans lequel la part de la télévision devint rapidement prépondérante. Les études sur la radio concernent surtout la musique ; un numéro entier des Cahiers en 1955 est consacré aux travaux d'un colloque international sur les aspects sociologiques de la musique à la radio, tenu en Octobre 1954 à Paris. La bibliographie des études sur la radio et la télévision publiée dans chaque numéro contient de nombreuses références étrangères et les principales rubriques concernent l'art et le théâtre à la radio, l'esthétique, la radio, l'enfant et l'école.
Le service de la recherche, réorganisé au début de la V ème République fut dirigé par Pierre Schaeffer de 1960 à sa disparition en 1974 avec la fin de l'ORTF. On peut noter qu'il y a eu en France une séparation complète et parfois même une opposition entre le service de la recherche et les études d'audience au sein de la radio télévision publique. Un service des relation avec les auditeurs avait été constitué en 1946 sous la direction de Roger Veillé qui le présenta dans un livre en 1952, La radio et les hommes, ; il fut remplacé en 1952 par Jean Oulif qui le dirigea jusqu'en 1972et introduisit les enquêtes par sondage ; ce service prit ensuite le nom de service des études de marché en 1964, puis en 1971 de service des études d'opinion qu'allait diriger Jacques Durand, avant de devenir en 1975, après l'éclatement de l'ORTF le Centre d'étude des opinions CEO directement rattaché à un service du Premier Ministre ; il fut transformé en 1985 en société à capital d'Etat avec introduction de capital privé et devint Médiamétrie.
Il y eut un retard en France de l'étude historique de la radio ; jusqu'au début des années 70, la référence à la radio pendant la deuxième guerre mondiale était absente dans les publications de collections d'histoire comme Peuples et Civilisations ou l'histoire des relations internationales du doyen Renouvin. C'était lié à l'attachement des historiens français au document écrit, au caractère conflictuel entre les universitaires et les mass médias, à la priorité accordée à l'histoire économique et sociale au lendemain de la guerre sous l'influence marxiste plutôt qu'aux aspects culturels. Ce retard s'explique aussi parce que la radio s'est occupée tardivement de la conservation de ses émissions et sa documentation, quand elle fut conservée pour des périodes d'avant guerre, elle est dispersée et difficilement accessible. Un inventaire des différentes archive publiques et privées de la radio faisait état d'une très grande dispersion des sources, entre différents ministères, les PTT le ministère de tutelle jusqu'en 1939, mais aussi la Marine, la Guerre, l'Intérieur, les Archives Nationale qui ont recueilli les archives des postes publics d'avant-guerre puis de la RDF et de l'ORTF mais aussi des papiers privés, comme les archives de l'Agence Havas,, mais des archives départementales, du Gard, de la Haute Garonne, de l'Isère, du Lot et Garonne, du Bas Rhin conservent aussi des documents de cette première période. Cette situation diffère des autres pays pionniers de la radio qui ont connu plus tôt des études historiques de la radio en Angleterre avec les débuts de l'histoire de la BBC d'Asa Briggs, aux Etats-Unis où commence la même années la publication de l'histoire de la radio aux Etats-Unis d'Eric Barnouv ou en Allemagne.
Dés les années 50, les études portent sur la télévision bien plus que sur la radio chez les professionnels. C'est très sensible dans les Cahiers ; en 1957 alors que Raymond Aron dans un article « Signification politique de la radio télévision dans le monde présent » parle surtout de la radio « Toute radiodiffusion est un compromis entre les exigences de l'éducation, de la propagande et de la liberté «, Michel Robida, qui dirigeait les relations internationales de la RTF, dans le même numero, traitant du « rôle de la radio et de la télévision » ne parle guère que de la télévision Une réunion des producteurs de programmes culturels à la radio et à la télévision se tint à Paris en 1956 sous les auspices de l'UNESCO. Sir George Barnes, pour la BBC, ne parla que de la télévision, Zaffrani, responsable de ces programmes à la radio télévision italienne, traitant de l'œuvre originale à la radio et à la télévision, parla au contraire beaucoup de la radio, considérant que l'originalité était plus difficile à la télévision.
Dans la 3 ème période 1960-1980, on assiste à un retour à l'émetteur et aux questions techniques dans les problématiques des études
L'importance de la technologie est relancée par Marshall Mac Luhan avec la publication en 1964 de son livre Pour comprendre les média . On peut s'étonner de sa classification de la radio comme média chaud, demandant moins de participation, alors que l'auteur lui-même parle des différences « dans les effets d'un média chaud selon qu'on l'utilise dans une culture chaude ou dans une culture froide. Utilisée dans une culture froide ou analphabète, le medium chaud qu'est la radio provoque des réactions violentes » et il parle du « pouvoir qu'a la radio de retribaliser l'humanité » .
Quelles que soient les discussions, voire les polémiques autour de ses idées il fut – indirectement –un stimulant pour les études sur la radio en l'opposant à la télévision dans la distinction entre média chaud achevé comme la radio et média froid suggestif comme la télévision, alors que les études sur la culture de masse s'ordonnaient essentiellement autour de la télévision et du cinéma. Mc Luhan analyse et pressent l'importance de la radio pour l'Afrique et le tiers-monde « Pour les peuples tribaux, pour ceux dont l'existence sociale toute entière est un prolongement de la vie familiale, la radio restera une expérience violente ».
Au cours de cette période, les techniques de sondage ont progressé avec le traitement par ordinateur des données et la mise au point d'indice de satisfaction. Elles sont encore peu utilisées en Europe dans les recherches universitaires, exceptionnelle est l'étude, remarquable, de Gabriel Thoveron, Radio et télévision dans la vie quotidienne , publiée en Belgique en 1971. La confidentialité de ces études, difficilement consultables, explique, mais en partie seulement, leur faible utilisation dans les recherches comme nous le verrons plus loin.
Plus la radio s'étend au dela du foyer domestique, au travail ou dans l'auto, et plus elle n'apparaît dans beaucoup de recherches, en France notamment, que comme un véhicule de transmission de connaissances et de musique, par exemple chez Abraham Moles ou chez Pierre Bourdieu. Pourtant plusieurs circonstances redonnent à la radio une originalité qui ne fut étudiée qu'avec retard ; le rôle joué par la radio au cours des évènements de 1968 en France contribua à redonner une importance à la radio intégrée dans le déroulement même des évènements. La radio, surtout avec les radios dites périphériques (Radio Luxembourg, Europe n°1..) revalorisa sa fonction d'information et devient un objet d'étude en science politique. Liée à l'utilisation plus tardive en France de la FM alors que les études sur la télévision continuent à dominer, c'est à la radio qu'est associé en Europe le principal mouvement de libération de l'audiovisuel. Si le mouvement des radios libres n'eut pas en France l'ampleur qu'il eut en Angleterre et surtout en Italie, il fut un sujet de débat intense dans la presse écrite.
Les études sur la radio voient s'ouvrir un nouveau champ de recherches avec la plus large pénétration de la radio dans le Tiers-Monde, liée à la vulgarisation des postes récepteurs transistor. Entre 1955 et 1985 alors que l'estimation des parcs récepteurs par la BBC indique une multiplication du nombre par 4 en Europe et par 5 aux Etats-Unis, c'est une multiplication par 100 en Chine, par 71 dans l'Asie du Sud-Est, par 50 aux Indes, par 70 en Afrique sub-saharienne (Afrique du Sud exceptée). Daniel Lerner en 1958 avait déjà publié The passing of traditional society :modernizing, appliqué au Moyen-Orient, voyant dans les médias audiovisuels un élément de nisationLes études concernant la radio dans les pays du Tiers-Monde ont été surtout menées dans la relation média-développement à la suite notamment de l'étude dirigée par Daniel Lerner et Wilbur Schramm, publiée en 1967 Communication and change in developpîng countries , thèse optimiste sur le moyen de rattraper par la radio et par la télévision encore à ses débuts dans ces pays, leur retard en matière d'instruction ; thèse reprise et soutenue par l'UNESCO dont on trouve l'illustration dans le rapport Mac Bride, Voix Multiples un seul monde , publié en 1980, résultat d'une commission internationale mise en place par l'UNESCO en 1976, et dans la collection des Etudes et Documents d'Information, devenue, Rapport sur la communication de masse. si les études sur la télévision y occupent de plus en plus de place, la radio reste largement présente, citons quelques titre : les programmes culturels radiophoniques, quelques expériences , 1956, la radiodiffusion au service du développement rural 1966, la radiodiffusion télévision au service de l'éducation et du développement en Asie 1967, Une expérience africaine de tribune radiophonique au service du développement rural Ghana 1946-1965, 1968, Les médias communautaires et le développement , 1979…
Le point de vue pessimiste et critique, qui vise surtout la télévision et voit dans les techniques de l'information une accentuation de la dépendance, a été exprimée par Majid Tehranian en 1979 dans l'ouvrage dirigé par M. J. Vogt et G. S. Hanneman, Developement Theory and Communication Policy :the changing paradigm, et dans The dialectic of technology and mythology, publié dans le n°36 de Culture en 1985. On le retrouve dans le livre de 1976 de Herbert Schiller Communication and cultural domination .
L'effacement des études sur la radio face aux études sur la télévision est illustrée notamment, à la fin de la période, par un numéro des Cahiers de la Communication , publié en 1982 consacré à Communication et médias :les orientations de la recherche en Europe. Seul sept pays sont étudiés mais il est significatif de l'époque où la télévision se généralise, de l'absence presque complète d'études sur la radio dans les articles consacrés à l'Allemagne Fédérale, à la France, aux Pays-Bas ou à la Belgique, à la Suisse et à l'Espagne ; ce qui ne signifie pas qu'il n'en existe pas dans ces pays, mais qu'elles n'ont pas été retenues. La presse écrite, le journalisme et la télévision sont les principaux ou les seuls thèmes abordés. C'est le cas de l'article sur la Belgique, alors même que la bibliographie cite le livre de Gabriel Thoveron de 1971 Radio et télévision dans la vie quotidienne, ouvrage fondamental. La présentation est faite par des universitaires qui ne tiennent pas compte des études et sondages sur la pratique des médias (comme les enquêtes de l'INSEE sur la radio en 1952 et en 1961 ou celles du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français en 1974 en France) ou les critiquent, comme l'article sur les Pays-Bas. Jean Cazeneuve parle d' « une défiance à l'égard du rôle que peuvent jouer les sondages » dans la classe intellectuelle. La même absence ou une très faible présence de la radio se retrouve dans les articles sur l'Espagne où un livre publié en 1974 d'Angel Faus s'intitule « La radio, introduction à un média méconnu », sur la Finlande ou sur la Suisse où un service de la recherche, principalement sur les audiences, fut établi en 1970 à la SSR.
Un autre symptôme du moindre rôle de la radio dans les recherches en communication en France, c'est le répertoire des thèses et Mémoires e, sciences de l'information et de la communication en 1980-1981 ; sur 295 titres, il y en a 15 sur la radio dont 8 sur l'Afrique.
4 ème période depuis le milieu des années 80
Nous parlerons peu de cette dernière période, traitée par les autres intervenants. Elle est marquée par le foisonnement des techniques, les nouvelles technologies qui affectent aussi la radio, que ce soit l'usage couplé du satellite et de la FM, la numérisation ou internet,, par l'éclatement généralisé des monopoles, par le pluralisme renforcé de l'offre radiophonique, de radios internationales, nationales ou de proximité qui donnent lieu à des études de la radio comme objet en vue d'applications nouvelles ou comme sujet. Mais une nouvelle distinction s'esquisse de plus en plus entre les études centrées sur la radio et celles qui l'utilisent dans des recherches sociologiques, ethnologiques ou linguistiques .
Alors que la radio avait été mondialisée dés sa naissance, la mondialisation de la communication a surtout été étudiée au niveau de la télévision avec le développement des télévisions transnationales, puis d'internet. Les études sur la radio s'intègrent moins dans les études sur le multimédia que dans des études ethnologiques ou sociologiques en Amérique du Sud ou en Afrique. Il faudrait analyser, par pays, l'incidence sur les recherches en matière de radio, de l'avènement de radios libres ou locales, particulièrement dynamiques en Italie
Les études sur la radio trouvent une pertinence nouvelle dans la faible place qu'elles occupent dans l'abondante littérature suscitée par les progrès des techniques de communication et l'engouement pour la communication, notamment en France, alors que la radio demeure le moyen d'information et de communication le plus répandu dans le monde. Dominique Wolton reconnaissait dans un article récent cette faible part des études sur la radio face à la puissance de l'image animée, de la télévision. ; à la radio conference de Madiseon, Wisconsin, en juillet 2003, la France n'était pas représentée. Pourquoi la radio attirait-elle moins les chercheurs ? Parmi les éléments d'explication, peut-être y a-t-il la forte influence en France notamment des recherches en communication de l'Ecole de Francfort et de la théorie des industries culturelles, qui s'applique moins bien à la radio qu'à la télévision ou au cinéma. Or la libéralisation, tardive, en France, de la radio a élargi la problématique des études. Par son universalité qui la rend le média le plus répandu dans le monde et tout particulièrement dans le tiers monde, par sa diversité aussi des formes les plus intégrées au capitalisme jusqu'aux radios clandestines liées aux mouvements de résistance, voire à des organisations terroristes, par la pluralité de ses émissions, sonores, musicales ou parlées, par l'hétérogénéité de ses publics, la radio rentre mal dans les modèles théoriques ou dans les écoles de pensée. Les études sur la radio, une réalité si diverse, si contrastée dans ses structures comme dans ses expressions et dans ses publics, contribuent à mieux comprendre la diversité hommes
La naissance du réseau IREN montre que les études de la radio, peut-être précisément parce qu'elles sont minoritaires, persistent en se renouvelant, progressent en confrontant les structures, les émissions et les pratiques de la radio dans différents pays et dans différents continents.
André-JeanTudesq